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« Sauvons l’âme avant tout. Une bataille peut se perdre ; mais l’âme, si elle est vivante, est toujours sûre de ressusciter, fût-ce après cinq cents ans ! » Ainsi Kossovo est devenu la devise d’une race, qui, sous tous les jougs et tous les martyres, n’a jamais renoncé à la lutte parce qu’elle n’a jamais désespéré. Kossovo sera l’incompressible appel de la patrie écrasée à la patrie libre et victorieuse.

Dans la pesma qui chante le départ des chefs pour Kossovo, éclatent leur enthousiasme guerrier, leur ardeur jalouse à prendre part à la lutte suprême et leur résolution unanime d’offrir leur sang en holocauste à la patrie. La tsarine Militza, sœur des neuf Yougowitch, ne réussit pas à garder auprès d’elle un seul de ses frères. Le serviteur même de Lazare, le vieux Goluban auquel le Tsar ordonne de rester auprès de sa femme, n’obéit qu’en pleurant et finit par déserter son poste, pour courir lui aussi au lieu tragique où se décide le sort de sa nation. La scène est pittoresque et dramatique dans sa fière simplicité.


…Le lendemain, dès que parut le jour et que s’ouvrirent les portes de la cité, la tsarine Militza sortit du palais et se tint tout près de la porte. Voici venir les troupes en bon ordre, tous les cavaliers avec leurs lances de guerre, et, en tête, Bochko Yougovitch sur son alezan tout chamarré d’or pur : l’étendard de la Croix l’enveloppe et couvre jusqu’à l’alezan. L’étendard est surmonté d’une croix d’or ; de la pomme rayonnent des croix d’or ; de chaque croix pendent des croix d’or, dont les franges flottent sur le dos de Bochko.

Alors s’avance la tsarine Militza. Elle saisit l’alezan par la bride, et, passant son bras au cou de son frère, elle commence à lui parler tout doucement.

« Frère Bochko, mon frère Yougovitch, le tsar Lazare t’a donné à moi pour que tu n’ailles pas te battre à Kossovo. Il te salue et par moi te fait dire de remettre l’étendard à qui tu voudras et de demeurer avec moi, à Krujevatz, afin que j’aie un frère pour jurer. »

Mais Bochko Yougovitch répond :

« Va-t’en, ma sœur, va vers ta blanche tour. Pour moi, je ne veux pas revenir en arrière ni laisser en d’autres mains l’étendard de la Croix, dût le Tsar me donner Krujevatz, pour que de moi l’armée puisse dire : « Voyez Bochko, le lâche Yougovitch, qui n’ose point aller à Kossovo verser son sang pour la Sainte Croix et pour la foi mourir à Kossovo. »

Il pousse alors son cheval vers la porte.

Mais voici venir le vieux Bogdan. Derrière lui marchent sept