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péri avec la fleur de la jeunesse serbe dans une grande bataille sur la Maritza (1371), Etienne Lazare fût élu kral de la Serbie. Il avait été page du tsar Douchan, qui l’aima pour sa noblesse, son désintéressement, sa fidélité, et lui donna en mariage la princesse Militza, issue de Vouk, le troisième fils de Némania. Si Douchan ressemble à un Charlemagne plus ardent, Lazare fait penser au pieux saint Louis, par son mélange de douceur et de fermeté, d’héroïsme et de foi pleine de sacrifice. L’histoire et la légende s’accordent à lui reconnaître l’âme d’un roi de justice. En montant sur le trône, il plaça la croix sur sa bannière, mais refusa le titre de tsar que lui donna le peuple et que lui ont conservé les cantilènes. Profitant de la criminelle invasion de la Hongrie, le sultan Mourad, qui avait rassemblé une armée considérable à Philippopolis, s’empara de Nich, point central des communications entre la Thrace et la Serbie. Lazare accourut et battit l’armée turque à Cerkvitché. Mais on savait des deux côtés que la lutte allait reprendre après et qu’elle serait décisive. Mourad disposait d’inépuisables légions asiatiques. Outre les voïvodes serbes, Lazare n’avait avec lui que les krals de Bosnie et de Bulgarie, les montagnards de l’Albanie et de l’Herzégovine et l’héroïque prince de Monténégro, Georges Balcha.

C’est alors qu’eut lieu la fameuse bataille de Kossovo (1389) où périrent à la fois le roi Lazare avec l’élite de son armée et le sultan Mourad, tué par le chevalier favori du Kral, bataille qui mit fin pour quatre siècles à l’indépendance de la Serbie. Avec la libre fantaisie de la poésie populaire, les pesmés ont groupé autour du roi martyr un certain nombre de personnages antérieurs ou postérieurs, comme le traître Vouk Brankovitch et une série de récits dramatiques purement légendaires. De cette vaste fresque, au dessin archaïque, aux gestes heurtés, mais d’allure tumultueuse et de passion grandiose, détachons les épisodes les plus saisissans qui peignent au vif le caractère et l’âme serbes.

Dans une pesma célèbre, le gouzlar se représente le moment psychologique, où le roi Lazare eut à décider de son destin et du destin de sa nation. Il le fait sous une forme naïve et symbolique. De ce symbolisme étrange se dégage cependant un sens profond, si l’on pénètre le sentiment intime du poète, qui se cache sous sa vision confuse.