Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un simple coup d’œil jeté sur le pays et sur le peuple serbe fait comprendre l’originalité de son rôle historique. L’ancien royaume de Serbie englobait, dès le IXe siècle, la Bosnie, l’Herzégovine, le Monténégro, et s’étendait, au XIVe siècle, sur toute la Macédoine, menaçant l’Empire chancelant de Byzance, avant la chute de Constantinople.


Ce territoire montagneux et convulsé constitue la partie la plus sauvage et la moins pénétrable de la péninsule balkanique. De l’Adriatique au Danube, c’est un enchevêtrement inextricable et tumultueux de hautes montagnes coupées de rares défilés. Dans les vallées fertiles de la Morava, de la Save et de la Drina, s’étalent de riches cultures de maïs et de blé, abondent la vigne et les arbres fruitiers. Çà et là, blanchissent des villes fortifiées, où les minarets turcs alternent avec les tours carrées des églises orthodoxes. A mi-côte, des forêts épaisses de chêne et de sapin, de vastes pâturages parsemés de maisons isolées qui forment des villages. Au sommet des montagnes, des rochers abrupts, des cimes dénudées souvent couvertes de neige. Et si l’on gagne la crête par un col, le regard s’effraye de nouveaux abîmes, embrassé de nouveaux cirques de montagnes par-dessus le labyrinthe des vallées tortueuses. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, un océan d’arêtes et de pics encercle la vue. Du haut des Alpes de l’Herzégovine, le Monténégro apparaît avec ses gorges profondes comme une mer houleuse pétrifiée ou comme un vaste gâteau de cire aux mille alvéoles. Tel le repaire désolé qui fut longtemps une citadelle de la liberté slave et l’est encore sous la botte autrichienne. Cette haute vallée est dominée par trois crêtes neigeuses, le Lotchen, le Ko m et le Domitor, comme par trois sentinelles géantes dont l’œil plonge à pic dans l’Adriatique.

Au Nord, à la frontière serbe de la Hongrie, le Danube roule ses flots jaunes, tantôt resserrés entre des falaises abruptes, tantôt élargis en rives herbeuses. Au confluent des rivières, qui se jettent dans le Danube, s’étendent des marécages où se baignent des troupeaux de buffles sous le vol des vautours. Des montagnes qui bordent le fleuve émergent des monastères, aux fenêtres nombreuses, qui ressemblent à des ruches d’abeilles ou à de hautes forteresses. Ici, entre les bras du Danube, une île surgit comme un tourbillon de pierre, en forme de pyramide, avec ses terrasses, ses remparts crénelés et sa tour gigantesque.