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la mer Caspienne à la Baltique et aux Balkans, ce nœud gordien de la lutte entre l’Orient et l’Occident, les descendans des Scythes et des Sarmates sont les derniers venus dans la civilisation européenne. Héritiers tardifs de l’empire byzantin, convertis au christianisme mille ans après les peuples latins et germaniques, ils n’ont été mêlés qu’incidemment à leurs querelles intestines, mais ils ont apporté aux nations chrétiennes leur fougue héroïque dans le combat contre l’Islam et les Tartares. Aucun des peuples slaves n’a donné de lui-même une formule définitive. Toutefois, de l’ensemble de leurs manifestations, se dégage une originalité profonde, une volonté encore inconsciente et comme le sourd murmure d’une force irrésistible. Avec toutes ses contradictions, l’âme slave demeure un mystère. Mais voici qu’au milieu de la convulsion mondiale, le sphinx du Nord s’est soulevé. Déjà on peut deviner son énigme à ses mouvemens. Il y a des heures d’angoisse, dans la vie des peuples, où de tous les points de l’horizon on entend rugir les quatre vents de l’Esprit. Alors, dans l’effroyable tourmente de toutes les forces déchaînées, se mêlent les voix du passé et de l’avenir, les voix des démons de la terre et des anges du ciel. L’Enthousiasme domine la Terreur. La Douleur mortelle et l’Espérance invincible s’embrassent sur le champ de bataille, et de leur étreinte jaillit un cri de révolte et de résurrection, où s’exprime le Verbe nouveau. Voilà ce qui est arrivé à l’âme slave à travers la nation serbe, première victime et première ressuscitée de cette guerre terrible.

Mais avant d’assister à ce drame, qui se reflète dans sa poésie héroïque, tentons une synthèse à vol d’oiseau de l’âme slave en général par une esquisse de son organisme intérieur. Cet organisme se présente à nous sous la forme d’une triade.

Géographiquement et historiquement, la race slave nous apparaît en trois groupes principaux : la Russie, la Pologne et les Jougo-Slaves[1]. Autant de rameaux du tronc primitif, autant de faces diverses de ce génie ondoyant et multiple. Il faut considérer successivement et chacun en particulier ces peuples, pour comprendre les facultés diverses du génie slave, fécond en contrastes, en sursauts et en métamorphoses et tirer l’horoscope conjectural de ce qu’il promet à l’humanité.

  1. Il faudrait y ajouter les Tchèques, mais on peut les rattacher aux Jougo-Slaves.