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tape sur le cuir, où Clelia brode et badine, dresse la masse énorme et la majesté de ses murailles, ses colonnes plates, ses statues, ses hautes fenêtres. Clelia jadis, étant au service de la comtesse, le connaît, ce beau palais. Tito en regarde les dehors, la grande porte, le va-et-vient de valets, d’abbés, de gens de toutes sortes, les carrosses qui amènent la compagnie et parfois emmènent le comte et la comtesse : à travers les glaces, Tito aperçoit leurs visages, leurs perruques, spectacle admirable et qui lui fait battre le cœur. Il attribue au comte et à la comtesse de Vallarciero des aventures que ces personnes étonnantes ne soupçonnent pas, à lui-même des aventures qui ne sortiront pas de ce petit domaine où il est le maître du gai mensonge. Pour que le comte et la comtesse de Vallarciero fussent avertis de savoir qu’il existe et qu’il a nom Tito Bassi, quel exploit le tente ? une prouesse qu’il ne réussit pas à concevoir assez extraordinaire. Une nuit, comme Tito allait à ses quatorze ans, le palais brûle. Un divertissement que le comte et la comtesse donnaient à la noblesse de Vicence et des alentours fut cause qu’on alluma lampions, girandoles et torches de résine. La fête finie, tard après minuit, les fenêtres s’éteignirent ; et puis elles s’embrasèrent soudain. Les vitres qui éclatent, la fumée qui monte, les craquemens, les effondremens ; et Tito de crier : « Le palais Vallarciero est en feu ! » La grande porte du palais s’ouvrit ; et parurent le comte et la comtesse, elle un bonnet de lingerie sur ses cheveux, une mante sur ses épaules, et lui en robe de chambre, un foulard de l’Inde noué à la tête remplaçant la perruque : tous deux, en leur costume imparfait, superbes aux regards enchantés de Tito. Ils se réfugièrent dans la boutique du cordonnier, qui les fit asseoir, tandis que Clelia les saluait de révérences. Mais la comtesse avait oublié, dans la fureur de l’incendie ; son carlin chéri Perlino ; et de crier et de se lamenter : Perlino, Perlino ! Clelia baise la main de la comtesse ; et elle s’élance. Ni la foule, ni les sbires du podestat ne la retiennent. Elle va sauver Perlino. Tito la vit s’engouffrer dans les flammes. Et Ottavio s’élança, non pour le carlin, mais pour sa femme. Le carlin fut sauvé. Ottavio et Clelia périrent. Tito fut orphelin et, dans son deuil aussi, fut déçu de lui-même : il n’avait pas saisi l’occasion si glorieuse.

Après cela, il est, sous l’indulgente discipline de l’abbé Clercati, ce jeune latiniste qu’on voit, sur les pentes du Monte Berico, sous les ombrages, méditer Virgile et Cicéron, les yeux baissés ; mais on ne voit pas que sa pensée est toute bouillante d’une activité secrète. Le soir, quand il épie la minute où la beauté de Vicence va se noyer dans