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Avant la guerre, le féminisme se disait international. « Femmes de tous les pays, unissez-vous ! » tel fut longtemps son mot d’ordre. Mais peut-être le moment est-il venu d’imiter « le geste loyal et chevaleresque »[1]des chefs socialistes, immolant sur l’autel de la patrie leurs erreurs d’antan. Toute Internationale est désormais condamnée, tant que les États eux-mêmes n’auront pas conclu cette grande Internationale pacifique de l’avenir : les États-Unis d’Europe. Jusque-là il est vain de vouloir fraterniser par-dessus les frontières, au nom d’un idéal politique, religieux, philosophique ou social. La guerre survenant met brusquement à nu l’extrême fragilité de toutes ces constructions.

Il est cependant une Internationale à quoi Leonore Niessen-Deiters semble fort attachée : c’est ce qu’elle appelle l’Union internationale des femmes allemandes à travers le monde (Inter-nationaler Bund deutscher Frauen). Voilà ce qu’une Prussienne, par un singulier abus des termes, qualifie d’Internationale. Le plus urgent, à ses yeux, n’est pas que les Allemandes conquièrent le bulletin de vote ; c’est qu’elles se rendent utiles, indispensables à l’État. Qu’elles se mettent toutes au service de la Weltpolitik allemande : très vite, il apparaîtra qu’on n’est pleinement actif dans le domaine politique et social que si l’on y exerce la plénitude de ses droits. Pour des raisons d’utilité pratique, les femmes obtiendront très aisément alors ce bulletin de vote qu’on leur refuse encore.

A elles de faire d’abord leurs preuves, à elles de saisir l’occasion qui s’offre. « Sauront-elles entrer dans l’arène comme citoyennes allemandes de l’Univers[2] ? Commenceront-elles leur carrière politique, résolues à lutter pour la Weltpolitik allemande ? Sauront-elles, animées du plus pur et du plus noble civisme, écrire sur leur bouclier cette devise : l’État, et subordonner tous leurs vœux personnels, leurs ambitions, leurs revendications, à cette grande fin unique : la prospérité et le développement de l’Empire allemand, foyer central du continent blanc[3] ? » Ainsi l’individualisme féminin, devant l’idole impériale, se frappe humblement la poitrine ; ambitions,

  1. Frauen und Welpolitik, p. 7.
  2. Deutsche Weltbürgerinnen, comme qui dirait un nègre blanc ou un aveugle clairvoyant.
  3. Frauen und Weltpolitik, p. 16.