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belges soient tous du domaine de la légende, et d’une légende intéressée. Mme Leonore Niessen-Deiters affirme de son côté qu’il n’y a pas eu d’atrocités commises en Belgique, ou plutôt les seules atrocités ont été commises par la population civile contre les impeccables soldats de la Kultur et contre les paisibles Allemands domiciliés à Gand, à Bruxelles ou à Anvers. Chose surprenante, ces atrocités « dignes de la guerre de Trente Ans, dignes des plus effroyables histoires de Peaux-Rouges, » ont été perpétrées « avant que le moindre soldat allemand ait eu la possibilité de toucher un cheveu d’une ville belge quelconque (sic)[1]. »

De même, L.-D. Frost demeure persuadée que l’Allemagne, laissée à elle-même, eût fait une guerre correcte, loyale et humaine, car les Allemands vivent encore sur une idée ancienne et chrétienne de la guerre où ils aperçoivent un jugement de Dieu. « La conduite de la guerre moderne a conservé, surtout chez nous, plus d’un trait médiéval : elle est aristocratique, chevaleresque, disciplinée et pieuse[2]. » Aristocratiques, les énormes saouleries de Champagne ; chevaleresques, les goujats allemands de tout grade qui ont si abondamment sévi sur les femmes et les filles de Belgique et du Nord de la France ; pieux, les profanateurs d’églises, les bourreaux des prêtres belges ! Laissons-leur le qualificatif de disciplinés, et passons. Mme L.-D. Frost, pas plus que Mme L. Niessen-Deiters, on s’en aperçoit, n’y est allée voir. Pour elle, les Allemands ont l’âme religieuse ; ils ne cherchent pas à violenter l’ordre des choses, mais à deviner le sens des événemens, quitte à donner au bon moment le « coup de pouce au destin[3]. » Ils croient qu’au terme de la guerre doit intervenir un traité de paix « où les belligérans tâchent de pressentir la volonté de Dieu[4]. » Ainsi faisaient Bismarck et son vieil Empereur, humbles serviteurs des dispensations divines. Mais les Français, peuple impie, refusent depuis 1870 cette soumission au

  1. Leonore Niessen-Deiters, Kriegsbriefe einer Frau, p. 24. On sait de reste combien de temps s’est écoulé entre la déclaration de guerre (4 août) et la première violation du territoire belge à Gemmenich (4 août) ou les massacres de Visé (5 août). Le fameux Livre Noir lui-même, si docile aux plus notoires racontars, ne signale de manifestations anti-allemandes dans les villes belges qu’à partir du 5 août. (Das Schwarzbuch der Schandtaten unserer Feinde, Berlin, 1915, p. 16-111.)
  2. Article cité, p. 1593, 1591 et 1593.
  3. Article cité, p. 1593, 1591 et 1593.
  4. Article cité, p. 1593, 1591 et 1593.