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nous tâcheront de nous apitoyer sur les femmes d’Allemagne, victimes passives et innocentes du formidable conflit, mères, sœurs, épouses, amantes douloureuses dont la douleur est pareille à la nôtre… alors il faudra nous souvenir ; alors il nous sera utile de savoir que Mme Lily Braun, fille de général prussien et militante du féminisme et du socialisme à la fois, hôte de la France à plus d’une reprise et reçue chez nous avec honneur, a d’avance écrit sa propre condamnation et celle de ses coreligionnaires politiques en ces termes : « La guerre, par bonheur, aura détruit chez les femmes leur pacifisme de sentiment et ce rêve insensé qui veut que toutes les femmes soient sœurs[1]. »


S’il en faut croire deux des principales têtes du féminisme allemand, Gertrud Bäumer et Lily Braun[2], les femmes allemandes de 1914 ne se distinguaient pas, avant la guerre, par un patriotisme agissant. Sans doute, elles mettaient au monde et élevaient les jeunes générations, toujours plus nombreuses, qui promettaient au pays un avenir de puissance. Mais songeaient-elles à la possibilité d’une guerre, elles y apercevaient surtout L’horrible perspective des deuils, des larmes, des chagrins inépuisables qui seraient leur lot. Toute leur âme et toute leur chair s’unissaient pour repousser l’idée même du grand massacre. Donneuses de vie, elles redoutaient comme leur pire ennemie « la guerre, tueuse d’hommes. »

Aimaient-elles seulement leur pays ? Ce n’est pas sûr. La grande majorité des ménagères allemandes n’avaient pas accoutumé de regarder plus loin que le cercle étroit de la famille. On vivait entre soi et pour soi, dévoués les uns aux autres, solidement coalisés pour conquérir ensemble les biens essentiels à la vie, mais sans lien réel avec les autres petits clans familiaux,

  1. Lily Braun : Die Frauen und der Krieg, p. 11. Je ne puis m’empêcher de remarquer combien ce langage diffère de celui que tenait en France, à la même époque, la Section française du Comité international des Femmes pour la Paix permanente : « Les femmes, dans tous les pays, disent qu’elles ne sont pas responsables de la guerre. On ne les a, en effet, jamais consultées… Elles n’ont aucun rôle actif dans la guerre ; elles souffrent sans connaître le devoir de combattre ni la joie héroïque de l’action. Les femmes de tous les pays, les mères, haïssent la guerre d’une haine pareille. » (Manifeste et statuts, juillet 1915.)
  2. Gertrud Bäumer : Der Krieg und die Frau (Der deutsche Krieg, XV, 1914), — Lily Braun : Die Frauen und der Krieg (Zwischen Krieg und Frieden, XVII, 1915).