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« Tu verras, mère, Dieu amènera cet homme à de meilleures pensées et il reconnaîtra son injustice envers nous. » « Ce qui se vérifia par la suite, » ajoutait Lapa en guise de conclusion.

Le teinturier ne tolérait dans sa maison ni discours impies, ni conversations grossières ; l’atmosphère devait y être pure. Et quand Bonaventura, la sœur préférée de Catherine, fut mariée, c’est avec un étonnement mêlé d’horreur qu’elle entendit les propos que tenaient son mari et ses jeunes amis ; elle y était si peu habituée qu’elle en tomba malade : « Dans la maison de mon père, je n’ai point été accoutumée à ce langage, » répondit-elle aux questions anxieuses de son mari, « et si tu ne veux pas bientôt me voir mourir, je te prie de renoncer à ces immondes conversations. »

La famille qui s’appelait Benincasa jouissait en effet d’une excellente situation. Les fils aînés aidaient Giacomo dans ses affaires, qui prospéraient à souhait ; deux ans avant la naissance de Catherine, en octobre 1346, ils avaient pu louer la vaste demeure de Giovanni di Chezzo, le représentant dell’ Arte della Lana, située près de Fontebranda et qu’ils habitaient maintenant. Ils possédaient en outre à cinq quarts de mille au Sud de Sienne une ferme, la Canonica, qui échut plus tard à Lisa, la veuve de Bartolommeo.

Catherine grandit par conséquent dans la maison de la via dei Tintori. Comme beaucoup d’autres à Sienne, cette maison est bâtie à flanc de coteau, et la teinturerie installée à l’étage inférieur sur la façade de la via dei Tintori se trouvait donc en sous-sol du côté de la via del Tiratoio. Un escalier conduisait au premier (qui devient le rez-de-chaussée, si l’on entre par derrière) où se trouvaient les chambres à coucher ; au-dessus, il y avait une terrasse disposée en jardin et une grande cuisine qui servait en même temps de salle. Là, on prenait les repas ; là, filaient, cousaient et reprisaient les femmes ; tous s’y réunissaient chaque soir devant le feu pour faire la Veglia, comme on dit encore dans la campagne italienne ; on se chauffait avant de se coucher, on bavardait, on contait des anecdotes.

Et là, dans la maison de Giacomo Benincasa, au milieu du cercle de famille rassemblé autour du feu de genièvre pétillant, se trouvait un jeune garçon qui devait exercer une influence décisive sur la vie de Catherine : c’était le fils adoptif, Tommaso