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et il était facile aux Benincasa de s’y rendre le matin pour entendre l’une des messes des nombreux prêtres de cet Ordre.

Dans la teinturerie de Fontebranda, c’était Giacomo qui avait le plus de dévotion. « Lapa, son épouse, dit Raymond de Capoue, était une femme entendue dans les affaires du ménage, » qui ne possédait rien de la malice des hommes de notre temps et, même si elle l’eût voulu, incapable de dire un mensonge Plus d’une fois dans la Légende on l’appelle « la très naïve Lapa, » simplicissima Lapa ; mais « elle ne désirait pas ardemment les biens éternels. » Etant tombée gravement malade, elle ressentit une telle angoisse de la mort que Catherine, déjà grande alors, eut beaucoup de peine à rassurer sa mère. Lapa se rétablit et vécut très vieille (elle dépassa quatre-vingts ans). Elle vit ses enfans et petits-enfans mourir autour d’elle et en vint à se lamenter de ce que son âme était si bien chevillée dans son corps qu’elle n’en pouvait plus sortir.

Catherine tenait son énergie de Lapa, mais sa piété et sa douceur inlassable lui venaient de son père.

Raymond recueillit de la bouche même de Lapa de nombreux traits concernant la merveilleuse patience de son défunt mari qui fut peut-être plus estimé après sa mort qu’apprécié pendant sa vie ; il est rare en effet qu’une femme d’énergie admire un homme pacifique, et si Lapa avait la parole aussi vive que le geste, sans doute le teinturier était-il fréquemment exposé à s’entendre dire qu’il n’était qu’un niais et se retirait-il parmi ses ballots d’étoffe, le cœur percé par les paroles acérées de Monna Lapa. Mais après sa mort, devant l’évidente admiration du dominicain qui appartenait à la noble famille délie Vigne (un delle Vigne avait été chancelier de Frédéric II). Lapa se complaisait maintenant à l’entretenir de la patience sans exemple de feu son mari. Celui-ci n’avait jamais permis à aucun des siens d’employer des termes violens ou de porter de sévères jugemens sur autrui. Et lorsqu’un homme auquel il avait depuis longtemps payé son dû le poursuivit et le fit condamner injustement, le doux teinturier ne témoigna contre lui d’aucun ressentiment, et comme Lapa se mettait en fureur ainsi qu’une Italienne seule en est capable (on raconte que plus d’une fois à cette occasion elle ameuta le quartier par ses clameurs), Giacomo Benincasa intervenant alors lui dit doucement :