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Ces préoccupations sérieuses ne furent sans doute pas étrangères à la résolution qu’il prit, au temps de Pâques de l’année 1718, de se retirer de la scène. C’est le 22 avril qu’il demanda et obtint sa retraite à l’âge de cinquante-sept ans, en plein succès et en parfaite santé. Sa femme, deux ans plus tard, imita son exemple. Quoi qu’en disent quelques mauvaises langues, il semble bien que le ménage, si l’on néglige quelques peccadilles du mari, ait vécu à peu près uni, tout au moins sans scandale[1]. Au Théâtre-Français, où la chose était rare, leurs camarades les nommaient volontiers Philémon et Baucis. Tous deux se confinèrent au château de Courcelles-le-Roi, situé dans la paroisse de Beaulieu-sur-Loire, aux confins du Berri, propriété de famille des Dancourt. L’ex-comédien, redevenu hobereau, vécut ses dernières années d’une manière édifiante, « détaché des choses d’ici-bas et n’aspirant qu’aux biens célestes, » dit le Père Niceron, « dévot sombre, » interprète Voltaire. En abandonnant le théâtre, il avait retiré deux comédies en vers, acceptées aux Français, mais qu’il refusa de faire jouer et même de publier. Dans sa retraite, il ne voulut employer ses loisirs qu’à des ouvrages de dévotion, la traduction en vers des psaumes de David, une tragédie sacrée. Ces productions n’ont jamais vu le jour. Lorsqu’il sentit ses forces décliner, il se fit construire un tombeau dans la chapelle de son manoir, et il Fallait fréquemment visiter pour s’habituer à l’idée de la mort. Il s’éteignit le 6 décembre 1725, huit mois après sa femme, dans sa soixante-cinquième année.

De son mariage avec Thérèse Le Noir, Dancourt laissait deux filles, nées à quatorze mois de distance, en 1684 et en 1685[2]. L’ainée, Marie-Anne-Armande, s’appelait familièrement Manon ; la cadette, Marie-Anne-Michelle, qui fut la mère de Mme de La Pouplinière, portait le surnom de Mimi. Toujours, jusqu’à leur mort, elles restèrent affublées de ces diminutifs et leurs contemporains semblent ne leur avoir point connu d’autres noms. Manon était d’une beauté rare, avec une merveilleuse chevelure, un doux visage souriant ; elle avait, assure-t-on, un rare

  1. Quelques chroniqueurs, il est vrai, attribuent pour amant à Thérèse Dancourt le duc d’Aumont, qui aurait même été le père de ses deux filles. Mais aucun probant témoignage ne vient à l’appui de cette allégation, que contredit l’affirmation d’autres contemporains.
  2. La date exacte n’est pas connue.