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arriver. Elles ne sont peut-être pas tout à fait ce qu’il attendait, mais elles sont ce qu’elles pouvaient être. L’Espagne proteste avec hauteur contre la piraterie allemande. A elle aussi, l’Allemagne a trouvé le moyen de faire dire, sur un autre ton, le grand mot, le mot après lequel elle n’a plus jamais reculé d’une ligne : il ne faut pas que « soit interrompu le cours de son existence nationale, » ni que soit porté atteinte « à l’intégrité de sa souveraineté. » Elle appelle, sans ambages, l’attention du gouvernement impérial « sur la responsabilité qu’il assume, en raison, principalement, des pertes que son attitude peut occasionner. » Elle qualifie, en des termes où le dédain ne se dissimule pas, « la décision de fermer complètement le chemin de certaines mers en substituant au droit indiscutable de capture dans certains cas un prétendu droit de destruction dans tous les cas, » décision par laquelle l’Allemagne s’est placée « hors des principes légaux de la vie internationale. » Et l’Espagne le fait en nation qui se souvient qu’il suffit souvent d’opposer la fermeté à la violence, et que Canovas sut faire plier Bismarck dans le conflit des Carolines. Le Brésil, de son côté, proteste et rend l’Allemagne «responsable des actes commis par les sous-marins contre les citoyens, les marchandises et les bateaux brésiliens. » D’autres États de l’Amérique latine suivront sans doute, mais tenons-nous-en à ce qui est acquis. En Europe, les autres neutres, qui sont tous de petits États, sont troublés. Le Danemark voudrait bien suivre M. Wilson, mais il ne le peut pas; il invoque, pour s’excuser, « ses conditions géographiques et économiques; » et il n’est que trop vrai qu’elles l’exposent à tous les périls. De même pour la Suède et la Norvège; de même encore pour la Suisse. Elles se récusent ou délibèrent. Mais si la proposition de M. Wilson n’a pu faire l’unanimité diplomatique, elle a fait l’unanimité morale. Dès aujourd’hui, il est permis de dire hardiment qu’il n’y a plus une seule Puissance au monde qui veuille ou imposer ou conseiller la paix allemande. C’est un résultat capital, dont on ne saurait grossir la signification. Toutes les Puissances du monde et le monde tout entier, dégoûté des méthodes de guerre allemandes, s’insurgent contre l’hypothèse de la victoire allemande. Nous allons enfin recueillir les bénéfices de notre modération, vde notre retenue, de notre sagesse, de notre respect, devenu méritoire, du droit et de l’humanité. Jusqu’à présent, ils ne nous avaient valu que de rehausser, un peu platoniquement, notre cote morale. Mais voici qu’ils vont prendre une valeur positive, et la justice a retrouvé ses voies, quand tous les hommes conviennent qu’à aucun d’eux, rien d’humain, ni aucun bien, ni aucun mal, n’est étranger.