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aumôniers, ont-ils contribué à entretenir ou à « surélever » le merveilleux moral de ces troupes, « les plus belles que la France ait jamais connues, » selon le mot significatif du maréchal Joffre[1], c’est ce qu’il est assez difficile de préciser, d’après leurs lettres, la modestie et l’humilité professionnelles leur faisant un devoir de passer sous silence leurs actions les plus méritoires. Pourtant, à défaut même des témoignages non ecclésiastiques et des citations à l’ordre du jour, leurs aveux involontaires, les hommages qu’ils rendent çà et là à la conduite de leurs confrères nous permettent d’entrevoir que leur influence personnelle a été considérable, et qu’ils n’ont pas en vain prêché d’exemple et de parole l’abnégation patriotique, le devoir, l’esprit d’héroïsme et de sacrifice.


J’ignore, écrit l’un, si l’on me laissera au train régimentaire jusqu’à la fin de la campagne. Si cela était, je ne désespérerais pas de revenir matricule dans le dos par les Allemands et sur la poitrine par les Français, car je suis proposé pour la médaille militaire. Je n’ai rien fait que mon devoir, j’en suis récompensé.


Et un autre, après une reconnaissance périlleuse :


On m’a obligé d’aller rendre compte au général de tout ce que j’avais vu en avant ; il m’a refélicité et reproposé pour mon deuxième galon. Le commandant voulait me citer à l’ordre du jour : je n’ai pas voulu. Je ne fais que mon devoir en bon soldat et surtout en bon séminariste. Et puis, ces honneurs sont si vains ! Votre nom marqué là, un bout de ruban rouge ou or ici, qu’est-ce que cela ? La seule récompense que j’envie, c’est de revêtir un jour ma chère soutane.


Tous, à vrai dire, n’ont pas le même dédain pour la gloire militaire ; et j’aime fort ce bout de lettre d’un séminariste du diocèse d’Albi qui vient d’être décoré de la main du généralissime :


Vous êtes bien jeune pour avoir la médaille militaire, sergent ! m’a-t-il dit. — Vingt-trois ans, mon général. — Vingt-trois ans ? Savez-vous que j’ai attendu jusqu’à soixante-trois ans pour l’avoir ? En êtes-vous content ? — J’en suis très fier, mon général. — Moi aussi. Et après ce court dialogue, une bonne embrassade avec deux gros baisers qui claquent. Vous

  1. On a publié des fragmens de lettres du maréchal Joffre ; ils font honneur au chef si humain qui a écrit ces quelques phrases : « Le temps travaille pour nous. Et moi, il faut que je tienne bon jusqu’au bout pour la France… Les temps froids sont arrivés et puisse cet hiver ne pas être rigoureux ! Je frémis en pensant aux souffrances qu’endurent nos vaillans soldats, obligés le plus souvent de coucher dehors ; et ma pensée va sans cesse vers eux. »