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répugnances ecclésiastiques. Mais de ces scrupules et de ces répugnances, nos prêtres finissent par triompher, et, quand il le faut, ils « piquent à la fourchette » d’aussi bon cœur que les autres.


Une souffrance me demeure, parfois pénible, — dit l’un, — c’est, de mourir en tuant des hommes ; de cela je me console difficilement. J’aurais tant préféré être brancardier, et mourir du moins en sauvant la vie des autres ! Que voulez-vous ? Je ferai mon devoir, et si je dois marcher à la baïonnette, je marcherai. Pourtant, je ne veux pas me laisser aller à des sentimens haineux, et je voudrais m’élancer à l’assaut en disant ces mots : Adveniat regnum tuum, fiat voluntas tua ! Je tâche de les interpréter en ce sens… Je suis convaincu que nous marchons pour le droit et pour la liberté.

— Je n’ai de haine contre aucune créature faite à l’image de Dieu et à sa ressemblance, — écrit un autre ; — mais je ne puis pas ne pas marcher en croisé et ne pas dresser mon canon contre la fausse philosophie, contre la fausse exégèse, contre la politique pleine de fausseté et d’arrogance qui veut asservir le monde, dans le mépris de notre race, de notre histoire, de nos traditions, de notre foi.


Cet état d’esprit est le meilleur qu’on puisse souhaiter à des soldats qui vont se battre. Et, de fait, tous ces prêtres-soldats se laissent prendre, comme des sabreurs de profession, à la poésie exaltante, à la tragique beauté, à la griserie du champ de bataille. « Quelle belle fête ! s’écrie un prêtre artilleur, après son premier combat. C’est le baptême du feu. Vive Dieu ! Vive la France ! Nous voici baptisés. C’était beau, très beau ! » — « J’ai peu souffert de ma blessure, écrit un autre. Les plaies se sont refermées peu à peu. Dans quelques jours, je compte regagner notre dépôt à Narbonne… et puis… aller faire expier aux Boches l’insulte qu’ils ont faite à mon bras. » — « Nuit et jour, écrit un autre, nous avons les guetteurs qui sont à l’affût des Allemands ; dès qu’un curieux montre la tête de l’autre côté, un coup de fusil le rappelle à l’ordre. Et quand ils sont trop nombreux, ces indiscrets, on abandonne vite le livre de cantiques, et on fait un feu par salves ! Voilà notre vie. » Évidemment elle lui plaît, cette vie, puisqu’il termine sa lettre par ces mots : « Vivent les curés sac au dos ! »

Elle leur plaît même si bien à tous ces prêtres, cette vie nouvelle, qu’ils en prennent au bout de fort peu de temps l’esprit, les habitudes, et presque le langage. « Si vous me revoyiez, écrit un novice de la Compagnie de Jésus, avec mes galons de sous-lieutenant, grognant parfois et tempêtant, buvant la goutte