Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Louison dans le Malade imaginaire, avec le plus brillant succès. Son père raffolait d’elle ; Molière l’appelait Cadet-Mignon et la choyait, la gâtait à l’excès. Un peu plus grande, elle débuta dans les rôles d’amoureuses, qu’elle devait conserver presque jusqu’à sa soixantième année, sans perdre sa chaleur d’accent et sa grâce juvénile[1].

Florent Dancourt, quand il la rencontra, n’avait que dix-neuf ans et demi. C’était un garçon bien planté, de taille moyenne et de jolie tournure, avec des yeux clairs et brillans, des cheveux et des sourcils bruns, une physionomie riante et une bouche spirituelle. Beau parleur au surplus, s’exprimant aisément, d’une voix chaude et prenante. L’amour naquit promptement et il fut réciproque. Tout de suite on parla mariage ; mais, comme on peut le supposer, de grandes difficultés surgirent. Les parens de Dancourt n’approuvèrent guère l’alliance avec une comédienne, fût-elle la fille d’un gentilhomme ; La Thorillière, de son côté, pour des raisons que l’on ignore, — jeunesse du prétendu, légèreté de son caractère ou différence des conditions, — refusa net son consentement. Sur quoi, les jeunes gens résolurent de recourir aux moyens violens.

Certain soir de mars 1680, après une représentation, profitant d’un moment où La Thorillière et Baron étaient tous les deux engagés dans un entretien animé, Dancourt enlevait Thérèse, qui ne faisait pas de façons, et l’emmenait avec lui, dit-on, dans un petit logement qu’il avait loué rue Saint-Jacques. Devant un tel scandale, toutes les oppositions tombèrent. Le 15 avril, dans l’église Saint-Merri, fut béni le mariage, en présence de La Thorillière et de Marie Petit Jean, son épouse : Mme Dancourt, « autorisée par son époux, » assistait également à la cérémonie ; seul protesta par son absence M. Dancourt, père du marié. Mais si La Thorillière céda, son chagrin n’en fut pas moins grand. La douleur, le ressentiment, l’indignation causés par le procédé de sa fille détruisirent si bien sa santé, qu’il succomba trois mois plus tard, à la date du 27 juillet[2]. Cette mort inattendue, suivant de près la fugue de l’étoile du théâtre, désorganisa complètement la

  1. Elle se retira du théâtre le 19 avril 1720, avec une pension de mille livres et mourut le 11 mai 1725.
  2. La Thorillière mourut à Paris, rue du Renard Saint Sauveur. (Archives du Théâtre-Français.)