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Sans être un grand acteur, La Thorillière jouait bien, avec correction et finesse. Les contemporains lui reprochent de varier insuffisamment ses mouvemens de physionomie. Dans les momens les plus tragiques, son visage conservait, dit-on, une expression souriante, peu en rapport avec les mots qui sortaient de ses lèvres. Il tenta un instant de cumuler le métier d’auteur dramatique avec celui de comédien et composa une Cléopâtre, qui fut jouée une douzaine de fois et n’ajouta rien à sa gloire : C’était surtout un honnête homme, excellent camarade et de bonne compagnie. Molière l’estimait fort. La Thorillière était à ses côtés, lors de cette représentation du 17 février 1673, où Molière, brusquement frappé, passa sans transition des tréteaux au cercueil. Et quand le théâtre rouvrit après la disparition de son chef, ce fut lui qui reprit, dans le Malade imaginaire, le rôle d’Argan, le dernier qu’eût créé Molière. Mais il passa, le mois suivant, dans la célèbre troupe de l’Hôtel de Bourgogne ; en compagnie du « beau Baron » et du couple Beauval, et y resta jusqu’à sa mort.

De son mariage étaient nés quatre enfans : un fils, Pierre de La Thorillière, qui fut un des bons acteurs de son siècle ; une fille, nommée Charlotte, si belle, assurent les chroniqueurs, que, lorsqu’elle paraissait dans quelque compagnie, les autres femmes s’enfuyaient au plus vite, de peur d’être éclipsées, et qui, à quatorze ans, fut la femme de Baron, son camarade de planches ; une autre fille, Marie-Madeleine, qui épousa un « bon bourgeois de Paris[1], » et vécut dans l’obscurité ; enfin cette Thérèse-Marie-Anne, dont l’influence devait être si grande sur la destinée de Dancourt.

Thérèse Le Noir (ainsi la nommait-on) avait alors environ dix-sept ans. Elle était née au Palais-Royal le 17 juillet 1663, et fut baptisée, dans l’église Saint-Eustache, le 8 août suivant. Ses parrain et marraine, sur le registre paroissial, sont dénommés « Jean Baptiste Poclin (sic) Molière, valet de chambre du Roi, et demoiselle Marquise Thérèse de Gorlle (sic) , femme de René du Parcq, bourgeois de Paris, » ce qui revient à dire Molière et la du Parc, bons répondans pour la future actrice. Jolie et intelligente à ravir, fort cultivée d’esprit, Thérèse Le Noir fit honneur à ce parrainage. Fillette, elle tenait le rôle de

  1. Nommé Jacques Loiseleur.