Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/893

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est pourquoi il fallait répondre aux savans allemands de 1914, disciples de ceux qui ont « prouvé » en 1940 les « droits » du souverain prussien qui, après avoir envahi, au mépris des traités, le domaine de Marie-Thérèse d’Autriche, disait à un diplomate anglais : « Ne me parlez pas de grandeur d’âme ! Un prince ne doit consulter que ses intérêts. » La réponse méritée par cet immoralisme d’outre-Rhin devait être faite, à haute et intelligible voix, du haut de la tribune de l’Institut de France. Et, quand le président de l’Institut, M. Appell, de l’Académie des Sciences, donna dans son discours d’ouverture, au nom de tous ses confrères, la définition de la science, telle qu’elle est comprise par les Français, chacun, dans l’assemblée, pensa aux monstrueux effets de cette Kultur germanique dont les représentans officiels signaient des manifestes approuvant par une effroyable et servile logomachie toutes les férocités féodales, princières, royales, impériales que la Germanie déchaînait, une fois de plus, sur une riche proie, depuis longtemps convoitée.

En déclarant que la recherche de la vérité scientifique, pour une âme éprise de beauté morale, est la plus noble entreprise que l’on puisse proposer à l’existence d’un honnête homme, le président de l’Institut de France affirma que l’étude des sciences se détourne de son objet essentiel et de ses fins divines, si elle s’engage dans les voies d’une étroite spécialisation pour asservir aux desseins d’une tyrannie brutale les plus précieuses conquêtes de l’esprit humain. C’est une façon scandaleuse de fausser le principe même de la civilisation, que d’emprunter à la société moderne ses découvertes théoriques et son outillage industriel, pour en faire, au profit du matérialisme conquérant, un instrument de mort. Au pays de Pasteur, la chimie aide les hommes à vivre et à travailler, à guérir leurs maux, à cultiver leurs champs, à vaincre toutes les puissances malfaisantes et stériles. Les savans français dont les travaux furent habilement exploités dans les universités d’outre-Rhin, un Chevreul, un Moissan, un Troost, un Friedel, ont laissé au professeur Ostwald le triste honneur d’inventer les pastilles incendiaires qui ont réduit en cendres la bibliothèque de Louvain et les aimables maisons de Gerbéviller. Chez nous, l’esprit scientifique n’est pas réfractaire à la règle morale ; il ne s’oppose pas aux scrupuleuses délicatesses de la religion intérieure ; il