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Les stèles ne rappellent que leurs noms et la miséricorde infinie d’Allah :

« Voici le tombeau de Fatmah ben Hassan Bey. Que Dieu, lui pardonne ainsi qu’à tous les musulmans ! Amen, amen !  » Et plus loin : « Voici le tombeau de celle qui est en la possession de Dieu : N’Fissa, fille de feu Hassan Pacha. Que Dieu lui soit miséricordieux ainsi qu’à tous les musulmans ! Amen, amen !  »


C’est tout ! Je suis d’abord un peu déçu. Cette sécheresse, cette nudité hautaine de l’Islam me font mal à l’âme. Pas de phrases, pas la moindre parure pour voiler l’horreur de la mort ! Les jeunes filles mortes n’ont pas une fleur sur leur tombe.

Ce pauvre jardinet, quelle misère, quelle aridité et quelle désolation ! L’incurie musulmane s’y trahit, dédaigneuse des odeurs, des chiffons et des débris accumulés ! Je regarde autour de moi, hésitant à faire un pas, tant je me sens, ici, un étranger, presque un profanateur. J’avance avec précaution vers les stèles. Aussitôt, des ramiers, perchés sur les branches noueuses des figuiers, s’envolent avec un grand bruit d’ailes. Un chat famélique, aux oreilles pointues, se hérisse sur mon passage. Et la vieille, qui s’est assise là-haut, tout au bout de la terrasse, qui se tient loin de nous, comme si nous étions des pestiférés, nous lance des regards à la fois inquiets et indignés. Elle se demande par quel caprice incompréhensible nous sommes venus, puisqu’il n’y a rien à voir dans ce taudis.

Ou peut-être que nous méditons quelque noir dessein contre ses morts, une désaffectation du cimetière, une violation des sépultures sacrées ? Cette défiance, cette hostilité latentes me deviennent une véritable gêne. Et pourtant la vieille se trompe. Si je suis un étranger dans ce sanctuaire du souvenir, je ne suis pas un indifférent. Ce lieu sans beauté et sans joie m’intéresse. Ce n’est pas un lieu banal, je le sens avec force. Et, tandis que je considère les tombes, et la vieille, sauvagement accroupie dans sa pose de gardienne des morts, je sens aussi la grandeur toute spirituelle de la scène.

Cette pauvresse en guenilles entretient un culte. Elle veille sur une tradition. Quand tous les autres oublient, même les