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C’est dans cette partie muette et jalousement close de la Kasbah que j’aurais cherché, si l’on ne m’avait averti, le mystérieux jardin des Princesses. Eh bien, non ! Il s’ouvre, ce jardin caché, sur une des rues les plus bruyantes et les plus animées de la vieille ville, une rue tout encombrée de petites boutiques, de bains et de cafés maures, à deux pas de la mosquée Salir. Cent fois, j’étais passé devant son seuil banal, sans me douter qu’il y avait là des morts illustres. Il fallut que mon ami Charles de Galland, l’actuel maire d’Alger, très fier de sa découverte, — car c’est lui, le premier, qui a découvert le jardin des Princesses, — m’y conduisit par la main.


Nous entrons dans un corridor misérable, tout pareil à ceux des maisons de pauvres, qui bordent la rue. Selon la disposition des vieux logis mauresques, il se recourbe, se coude et s’étrangle comme une souricière ; il a des inégalités de niveau, des marches inattendues. Enfin, tout au bout, dans une vague pénombre, un réduit de sabbat où d’horribles vieilles sont accroupies autour d’un plateau, parmi des enfans qui jouent avec un chaudron troué.

A la vue des intrus, une des vieilles se lève, farouche, refoulant l’injure qui lui monte aux lèvres : elle a reconnu le chef des Roumis. Elle s’incline devant le maître détesté, et, résignée à cette invasion sacrilège, mais la rage au cœur, elle pousse une porte dissimulée dans un retrait du corridor. Un flot de lumière jaillit. Nous sommes dans un jardinet souffreteux, sorte de terrasse en pente douce, que les maisons voisines enserrent comme un préau de prison.

Et c’est cela le jardin des Princesses ! Non, pas même un jardin, mais un cimetière. Il est vrai que, pour les musulmans » c’est très souvent la même chose.

A l’ombre de trois figuiers malingres, entre la Kouba du vénéré marabout, Sidi ben Ali ben Mhamed et le tombeau de Sidi Brahim ben Mouça, se dressent deux petites stèles de marbre blanc aux chevets des deux lits funéraires, où reposent deux princesses, mortes avant l’âge, dans tout l’éclat de leur jeunesse et de leur beauté, et qui furent l’ornement du harem.