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Mme de La Pouplinière aima le duc de Richelieu, qui eut l’air de l’aimer. Elle écrivait à son amant : « Je sens une émotion, en t’écrivant, qui me donne presque la fièvre. Mon cœur, tu ne peux m’aimer assez pour sentir comme je t’aime. Mon cher cœur, je me meurs de n’être pas avec toi… » Au bout de quelque temps, et même assez vite, La Pouplinière sut presque tout, devina le reste, fut jaloux, le fut assez pour que, plus d’une fois, sa jeune femme en pâlit. Une nuit de printemps, l’année 1746, après souper, la scène tourna au tragique : injures, et coups de poings, coups de pieds. Le lendemain, Mme de La Pouplinière appela le commissaire, qui attesta des contusions, des meurtrissures, des blessures. Désormais, les amans comprirent qu’un mari peut être dangereux. Ils résolurent d’être prudens, comme ceci. M. de Richelieu acheta, sous un nom supposé, la maison mitoyenne, fit percer le mur à la hauteur du « cabinet de musique » de Mme de La Pouplinière : la plaque de la cheminée, rendue mobile, tournait sur des gonds, s’ouvrait sans bruit, donnait passage au galant. Ce chef-d’œuvre de mécanique, après la découverte du manège, excitait fort l’admiration de Vaucanson.

Or, le 28 novembre 1748, le maréchal de Saxe passait une grande revue dans la plaine de Chaillot. Thérèse y fut ; non pas son mari. La Pouplinière, pour demeurer chez lui, raconta qu’il était souffrant. Mais il se portait à merveille ; et, Thérèse partie, il entra dans le « cabinet de musique, » avec ce Vaucanson, et avec l’avocat Ballot, et avec un magistrat de police. La cheminée, examinée par le jaloux, trahit tout le secret des amans.

Un homme averti ne vaut rien : si Thérèse ne fut pas battue, c’est qu’elle avait eu soin de ne rentrer chez elle, chez son mari, qu’avec le maréchal de Saxe ; et le vainqueur de Fontenoy la protégea. Mais elle eut à déguerpir, sans linge, sans vêtement, sans argent. Elle se réfugia chez Mimi Dancourt, sa mère, et coucha par terre, sur un matelas. Cependant, le duc de Richelieu tenait avec magnificence, à Montpellier, les États de Languedoc.

On obtint un peu plus tard que M. de La Pouplinière voulût bien faire à la coupable et malheureuse une pension. Et le duc de Richelieu, devenu maréchal de France, ajouta quelques subsides, afin qu’elle pût vivre ou, du moins, vivoter dans un petit appartement de la rue Ventadour. M. de La Pouplinière, onze ans après, se remaria, reprit sa fastueuse existence ; et il mourut vieux. Thérèse, en conséquence de telles émotions, fut malade pour la fin de ses jours. Le maréchal de Richelieu, pour peu que le lui permissent et ses devoirs de Cour et ses plaisirs de délicat, venait passer à son chevet quelques momens. Elle succomba, dans la souffrance et le chagrin, les premiers jours de l’année 1752.


A. B.