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grande décoration représentant un bois en perspective. On avait ménagé des galeries le long de cette décoration, qui sortaient en dehors. Au milieu était un grand arbre, effectif, mais faisant corps avec la décoration. Au bas des fenêtres, il y avait une plage d’eau, au travers de laquelle il fallait que les bêtes passassent pour arriver à la décoration. Le tout faisait un carré qui pouvait avoir 50 à 60 pas au plus. On commença par tirer quelques coups de canons qui étaient enfermes dans des tonneaux. Le coup parti, il sortit des sangliers en abondance. Mais, ce qu’il y avait de plus plaisant, des fenêtres à côté desquelles on était, il sortait une quantité prodigieuse de ces animaux, qu’on aurait jugés sortir du milieu de la compagnie. Ces animaux furent pour la plupart tués dans l’eau par l’adresse des princesses. Ceux qui gagnèrent la décoration et qui montèrent sur les galeries, entendant le sifflement des balles, se pressaient les uns les autres, et le terrain n’étant point assez large, ils culbutèrent dans l’eau. On lâcha une grande quantité de renards, lesquels ayant autant de peur pour le moins que les sangliers, se cachaient avec esprit derrière les corps de ces derniers morts, et disputaient hardiment le passage aux plus forts sangliers qui le voulaient forcer. Cette chasse a duré jusqu’au soir, et on a tué deux mille bêtes. Il y a eu un paysan tué par les sangliers et plusieurs autres blessés… »


SEGUR.


La mort a interrompu ici l’historien de Mme de La Pouplinière. La fin de l’histoire manque. Mais, le 25 octobre 1911, à la séance publique annuelle des Cinq Académies, le marquis de Ségur, délégué de l’Académie française, donna lecture d’un essai qu’il avait intitulé Une aventure d’amour et qui est, sous sa plume, la première esquisse de l’ouvrage, bien autrement développé, qu’il méditait et qu’il n’a pu terminer. En nous reportant à cette esquisse de 1911, nous pouvons du moins résumer les événemens et le drame dont nos lecteurs connaissent maintenant le prélude.

En 1744, Mme de La Pouplinière était mariée depuis sept ans et fidèle épouse. Avec une imprudence naïve, son mari lui présenta certain jour Armand du Plessis, duc de Richelieu, veuf deux fois, âgé de quarante-neuf ans, un peu « usé et chiffonné, » mais renommé pour ses bonnes fortunes, et lieutenant général des armées, premier gentilhomme de la chambre, fort avant dans les bonnes grâces du Roi.