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celui de « grand voïvode de Serbie » et qu’au XVIII0 siècle, par le traité de Passarovitz, la partie septentrionale de la Serbie avec Belgrade avait, quelques années durant, fait partie des possessions des Habsbourg. Tous ces clans de montagnards lui paraissaient rentrer dans la mouvance naturelle de son Empire ; il n’imaginait pas trouver jamais, parmi eux, un obstacle à sa volonté ni à l’expansion de ses domaines. Quand il fit occuper par ses troupes la Bosnie et l’Herzégovine, il fut surpris de la résistance que rencontrèrent ses généraux[1].

Sous son règne les Slaves furent toujours traités en parias. Au temps des Obrenovitch, qui avaient accepté la tutelle de Vienne, il n’est pas d’humiliations mesquines que la bureaucratie de la Ballplatz ne fit subir aux Serbes. A la fin, ce peuple énergique et vaillant se redressa. En 1906, un Cabinet radical, dirigé par M. Pachitch, osa pour la première fois résister ouvertement à l’arbitraire de Vienne : ni la fermeture de la frontière aux exportations serbes, ni la « mobilisation des vétérinaires[2] » ne réussirent à le faire capituler. A Vienne, la surprise et la colère furent grandes. Puis, ce fut la crise de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, en 1908 ; la Serbie, invoquant audacieusement un droit nouveau, le droit des peuples, se fondant sur sa parenté de race avec les Serbes de Bosnie, osa élever la voix et cette voix trouva de l’écho. Cette fois, François-Joseph ne comprit pas : les événemens sortaient du cercle de ses conceptions ; mais il éprouva contre les Serbes une violente irritation ; un passionné désir de mater l’audacieux petit peuple grandit en lui. En 1912, la politique autrichienne avait compté que les Turcs battraient aisément les Serbes ; ce fut le contraire qui arriva ; en 1913, nouvelle surprise : les Serbes battirent les Bulgares que l’Autriche avait lancés contre eux. Non seulement la route de Salonique se fermait devant l’impérialisme autrichien, mais les victoires serbes avaient, parmi les populations jougo-slaves de l’Empire, un immense retentissement.

  1. Le comte Schouvaloff écrivait, en juillet 1882, ces lignes prophétiques : « Je ne me serais jamais imaginé que les difficultés que l’Autriche rencontre en Bosnie-Herzégovine soient aussi considérables. Le plus mauvais, dans cette cession de territoire, c’est que, dans ma profonde conviction, elle menace dans l’avenir la paix de l’Europe. C’est de là que partira un jour la fumée qui mettra le feu aux poudres. Ce sera le brandon qui décidera la question slave… »
  2. Voyez notre article du 1er février 1907 et, dans l’Europe et l’Empire ottoman, Perrin, le chapitre IX.