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d’années. Son long corps, maigre et sec, était dégingandé ; il marchait la tête inclinée, le dos un peu courbé, les mains derrière le dos, perdu dans des méditations profondes. Son visage osseux et creusé rappelait, a-t-on écrit, le masque de Voltaire[1]. Sans méchanceté réelle, capable même, à l’occasion, de bonté et de dévouement, il avait l’accueil brusque, l’humeur rude et sauvage, un immense fond d’orgueil, une jalousie féroce à l’égard de ses pairs. Au total, un original, un bourru bienfaisant, mais moins souvent bienfaisant que bourru. Il paraît, en tout cas, avoir voué à Thérèse un réel attachement, l’affection attendrie d’un vieux maître pour son élève, une élève qui lui fait honneur, dont le charme le touche, dont le succès l’enorgueillit. On ne voit pas qu’en aucune circonstance un nuage ait obscurci le ciel de leur amitié réciproque.

S’il était l’ami de la femme, il l’était non moins du mari et à aussi juste titre. C’était La Pouplinière qui, l’un des premiers à Paris, avait accueilli, deviné, prôné, mis en lumière l’obscur compositeur, longtemps réduit à donner, pour gagner sa vie, des leçons de clavecin et à mettre en musique des divertissemens pour la foire. L’un des désespoirs de Rameau était de ne pouvoir trouver de librettiste. Le fermier général lui en procura un, qui n’était autre que Voltaire. Mais le Samson promis par ce dernier n’avançait pas, traînait étrangement en longueur[2]. La Pouplinière alors découvrit pour le musicien un autre collaborateur, un certain abbé Pellegrin, plus ou moins défroqué, qu’on surnommait l’aumônier de l’Opéra, et qui écrivit pour Rameau le livret d’un de ses chefs-d’œuvre, Hippolyte et Aricie. La pièce fut jouée à l’Opéra en 1733 ; mais elle avait été donnée, quatre ou cinq mois auparavant, dans le salon du fermier général devant un groupe de connaisseurs, dont le suffrage contribua puissamment à la faire accepter au théâtre du Roi. Ce sont là des services qu’il est difficile d’oublier.

Après le succès d’Aricie, la collaboration, entre Voltaire et Rameau, devient fréquente et presque régulière. Ce sont

  1. André Hallays. Trois articles sur La Pouplinière, dans le Journal des Débats des 7, 14 et 21 juin 1907.
  2. Samson, d’ailleurs, connut toutes les malchances. Terminé après des années, l’opéra fut interdit par la police royale, à cause de l’inconvenance qu’on prétendit trouver à traiter un sujet biblique sur la scène.