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les œuvres de son père et prédisant avec une étonnante justesse le prochain accueil du parterre. « Ce coup d’œil si vif, si rapide, et cependant si juste, dit encore Marmontel, étonna tout le monde, et dans cette lecture, quoique assez applaudi moi-même, je dois dire que son succès fut plus éclatant que le mien. »

Le ton n’est pas le même sous la plume de J.-J. Rousseau. Ses Confessions sont dures pour Mme de La Pouplinière, et son orgueil froissé ne lui ménage pas les reproches. Mais c’est qu’ici il se heurtait à l’un des sentimens les plus profondément ancrés dans le cœur de Thérèse, et qu’il entrait en lutte avec l’homme qui lui inspira la plus durable amitié de sa vie.

Rousseau ne parut à l’hôtel de La Pouplinière qu’en 1745. Il avait des amis communs avec le fermier général, l’abbé Hubert, et l’excellent Gauflfeourt, ancien horloger enrichi devenu grand bibliophile. Tous les deux, Hubert et Gauffecourt, originaires de Genève, étaient fort répandus dans la société parisienne. Ce fut Gauffecourt qui, le premier, introduisit Rousseau dans le salon du financier. Jean-Jacques venait de terminer les Muses galantes, opéra-ballet en trois actes, dont les paroles et la musique étaient de sa façon. Il y avait travaillé trois années et comptait beaucoup sur cette œuvre, qu’il destinait à l’Opéra de Paris, mais sans savoir comment il l’y ferait admettre. Gauffecourt lui suggéra l’idée de gagner les suffrages et le patronage de Rameau, inséparable ami du ménage La Pouplinière ; et le philosophe consentit à se faire présenter dans ce milieu mondain. Il n’eut pas, si l’on doit l’en croire, à s’en féliciter.

Rameau, pour commencer, refusa catégoriquement de lire la partition, alléguant la fatigue. La Pouplinière, alors, offrit d’en faire jouer chez lui des morceaux, pour que Rameau pût juger sa valeur. On choisit les fragmens, on rassembla des chanteurs et des « symphonistes, » et la séance eut lieu devant le fameux maestro. Le résultat fut désolant. Rameau, l’audition terminée, apostropha rudement Jean-Jacques, soutenant qu’une partie de l’ouvrage était d’un homme « consommé dans son art, » l’autre « d’un ignorant qui n’entendait pas la musique, » et concluant que le compositeur n’était qu’un « petit pillard » éhonté, qui avait gauchement démarqué l’œuvre de l’un de ses confrères. « Et il est vrai, ajoute sans modestie Rousseau, que mon travail inégal et sans règle était tantôt