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je m’incline. Mais, quant à admettre que, dans la brutale fournaise, ait été contenue aussi toute la réserve de ce qui devait former nos âmes et de ce qui parfois, en elles, atteint au sublime, — l’abnégation, le sacrifice, l’amour, la charité, la prière, — non tout de même ; devant cette hypothèse matérialiste, le bon sens se cabre. Non, tout cela qui nous éblouit de quelques rayons enchantés, dans notre affreuse nuit, tout cela nous est venu, nous ne saurons peut-être jamais d’où, mais assurément d’ailleurs, de plus loin et de plus haut…

Pauvre petite humanité, issue, avec son cortège de souffrances et de crimes, du grand brasier solaire, elle voit son évolution s’accélérer aujourd’hui trop furieusement, comme s’accélèrent toutes les longues chutes dans les abîmes ! Il y a quelque deux cent mille années qu’elle a surgi tout à coup, nous ne saurons jamais pourquoi, à la surface de cet atome cosmique, la Terre, qui aurait si bien pu demeurer vide et ne pas promener dans l’espace tant d’âmes désespérées et de corps sanglans. Énigme de plus, elle est apparue sans doute sous un aspect déjà parfaitement humain, car on n’a jamais trouvé, quoi que l’on en ait prétendu, sa filiation tant cherchée… Après avoir indéfiniment végété dans les cavernes, elle a connu un apogée presque subit lors de ce merveilleux élan de foi qui a duré quelques millénaires, mais qui s’épuise et qui, faute de sève et de jeunesse, ne se reproduira jamais ; à cette envolée nous devons les vieux temples de l’Egypte et de l’Inde, les jardins de l’Hellade, où se promenaient, en devisant de nouveautés sublimes, d’incomparables péripatéticiens, et enfin les Catacombes de Rome, et puis nos profondes cathédrales avec leur pénombre tout imprégnée de confiantes prières. Mais, c’est déjà dans le passé tout cela, et ne semble-t-il pas que la suppression de cette même humanité, ou tout au moins son départ pour ailleurs, soit désirable et peut-être même proche, puisque la voici déséquilibrée par la Connaissance et prise d’un vertige qui ne se guérira plus ! Aujourd’hui, au lieu des lointains, mais radieux espoirs, nous avons les convoitises immédiates, l’alcool et la détresse. Au lieu des hautes basiliques, magnifiquement édifiées par des artistes inspirés, nous avons le honteux et imbécile obus allemand, qui passe au travers, et les gerbes d’écume des explosions sous-marines et le cauchemar de ces grandes caricatures d’oiseaux en acier qui, au-dessus de