l’âge de ses contemporains : mais, à partir de soixante ans, il commença de rajeunir. Il atteignit « sa fleur » à soixante et dix ans, s’y maintint une douzaine d’années, fut « dans tout son vif » à quatre-vingt-deux ans passés. Probablement ne mourut-il qu’afin de ne pas être en état de puérilité au moment de boucler son siècle. Un tel savoir-vivre mérite à coup sûr l’amitié. Mais, le Bonstetten de Mme de Staël, nous ne le connaîtrons guère que vieux encore.
Il avait environ vingt-cinq ans et Mlle Necker avait quatre ans, lors de leur première rencontre un peu vive. Ce fut dans le jardin des Necker, à Saint-Ouen. Bonstetten suivait une allée, sans regarder autour de lui : soudain, c’est une baguette qui le frappe. Il se retourne et voit une fillette aux yeux noirs, qui s’était cachée derrière un arbre, et qui éclate de rire et dit : « Maman veut que j’exerce mon bras gauche ; eh ! bien, je l’exerce ! » Mlle Curchod, devenue Mme Necker, eut des principes en toutes choses et en pédagogie : elle avait décidé que sa fille serait ambidextre.
Une vingtaine d’années plus tard, c’est lui, Bonstetten, qui tenait à son tour la baguette et qui aurait pu se venger. Il était alors bailli de Nyon, sous le gouvernement de Berne. À cette époque, Mme de Staël dépensait une activité admirablement généreuse au service des émigrés français et au service des idées françaises. Elle avait l’entrain quelquefois tumultueux ; et Leurs Excellences de Berne, autoritaires et inquiètes, ne voyaient pas d’un bon œil le danger qu’elle faisait courir à leur prudente neutralité. Bref, le bailli de Nyon reçut l’ordre de surveiller Mme de Staël : et ce ne fut jamais facile de surveiller cette femme si hardie, courageuse et attrayante. A Nyon, dans un beau château, le bailli menait une existence paisible et ingénieuse, accueillant les poètes, les étrangers de marque. Au mois de juillet 1793, le baron de Staël et sa femme demandent à Berne l’autorisation de s’établir à proximité de Coppet : le bailli de Nyon devra, répond Berne, leur demander les motifs de leur séjour, le détail précis des domestiques et des personnes qui appartiennent à leur maison : puis on verra. Bonstetten obéit. Leurs Excellences de Berne, satisfaites, accordent l’autorisation, mais avouent qu’elles eussent « fort désiré que le sieur de Staël et sa famille eussent choisi un autre séjour : » le bailli de Nyon les aura sous son attention la plus exacte. Mme de Staël s’établit à Nyon même, comme si elle désirait d’être sous les yeux mêmes de son gardien et probablement parce qu’elle comptait sur la bienveillance de ce gardien. Vite arrivèrent Mathieu de Montmorency, M. de Jaucourt et puis Narbonne.