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REVUE LITTÉRAIRE

TROIS AMIS DE Mme DE STAËL[1]

Ces trois amis de Mme de Staël sont bien connus ; je ne les invente pas. Mais un gros livre tout récent, Madame de Staël et la Suisse, par M. Pierre Kohler, apporte de nombreux documens sur maintes questions relatives à l’auteur de Corinne, à son génie, à son entourage, et sur ces trois personnages intéressans, Edouard Gibbon, Charles-Victor Bonstetten et Jean-Charles-Léonard Simonde qui préféra s’appeler Sismondi. Je ne prétends pas, d’ailleurs, que les recherches nouvelles modifient beaucoup le sentiment qu’on avait d’eux. Du moins sont-elles l’occasion de revenir à eux ; et faut-il tant de prétexte pour regarder un peu de temps avec plaisir des visages d’autrefois ?

Gibbon, c’est plutôt un ami de Mme Necker ; au point que Mlle Curchod, toute jeune, pensa devenir Mme Gibbon. Mais il demeura très attaché à la famille Necker et, jusqu’à sa mort qui survint en 1794, à la fille de son ancienne fiancée. Sur le tard, il n’est pas beau. Garat, dans ses Mémoires sur M. Suard, lui donne à peine quatre pieds sept à huit pouces, un ventre de Silène posé sur des jambes courtes et grêles, les pieds en dedans, énormes et qui auraient pu servir de socle à une statue. Quant à la figure : un petit nez, enfoncé, perdu entre de grosses joues ; et des bajoues, un double menton, le front lourd et proéminent. Son obésité est un sujet de plaisanteries. Le marquis de Bièvre dit : « Quand j’ai besoin de mouvement, je fais trois fois le tour de Gibbon. » Et l’on raconte qu’un jour, le pauvre

  1. Madame de Staël et la Suisse, par Pierre Kohler (librairie Payot). Cf. Le salon de madame Necker, par le comte d’Haussonville (librairie Calmann-Lévy, et, bien entendu, Sainte-Beuve.