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impériale. Bien que l’idée protectionniste ait pris peu à peu dans l’opinion une place assez notable, il est difficile de croire que le triomphe en aurait pu être proche, si elle n’avait trouvé dans la guerre actuelle une cause d’essor en même temps que de puissans argumens.

Elle bénéficia tout d’abord de l’indignation provoquée par la barbarie des « Huns, » par la perfidie de l’infiltration germanique en Angleterre, par la malhonnêteté foncière du commerce allemand qui, avec la corruption, le dumping et la concurrence déloyale, n’était que le pionnier du militarisme teuton : ne fallait-il pas se défendre contre le fléau public du germanisme ? N’était-ce pas le droit et le devoir de boycotter l’Allemagne ? — Elle bénéficia en outre de l’émotion qui se souleva lorsqu’on découvrit que, pour nombre de produits de première nécessité et de produits destinés à la guerre, l’Angleterre était dépendante de l’industrie allemande. On avait souri autrefois du Made in Germany ; n’allait-il pas faire pleurer maintenant ? Ne fallait-il pas soutenir à tout prix certaines industries-clefs d’où dépend la vie même du pays ? — Elle bénéficia enfin du bruit fait par les Allemands autour de leur plan d’union douanière des Empires centraux, de la menace que représenterait pour les Alliés et pour les Neutres la création d’un bloc économique, puissant et hostile, prêt à recommencer l’invasion commerciale de l’Europe. Ne fallait-il pas se prémunir dès à présent contre le danger du Mitteleuropa ? L’équilibre du monde économique est renversé : à une situation nouvelle ne fallait-il pas une politique nouvelle ?

La force de cette poussée protectionniste peut se mesurer à la lumière de quelques faits frappans. C’est d’abord, dans la vieille citadelle du Cobdenisme, ce qu’on a appelé, non sans exagération, la « révolution de Manchester. » Au début de 1916, les directeurs de la Chambre de commerce de Manchester ayant proposé aux membres de cette Chambre, pour tâter le terrain, dit-on, le vote d’une déclaration de principe libre-échangiste, ont vu cette motion rejetée à une grosse majorité ; sur quoi, démissionnaires, ils furent remplacés par un conseil favorable à la protection contre l’Allemagne. Fuis, le 29 février, c’est une conférence des Chambres de commerce anglaises qui, à Londres, donne son adhésion au programme des néo-protectionnistes. Ce programme reçoit bientôt l’approbation de