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en pleine révolte ; c’est par un peuple en armes révolté contre son souverain que le jeune François-Joseph et son père avaient été un jour acclamés dans Vienne. Devenu empereur, il ne pardonna jamais, à ceux qui l’avaient déchaînée, la révolution dont il avait été le premier bénéficiaire. Il se fit, selon les maximes de Metternich, des « entrailles d’Etat, » qui surent, selon les besoins de la politique, tout oublier ou ne rien oublier. Il sanctionna allègrement les pendaisons de Hongrie, les exécutions, les exils, les emprisonnemens qui suivirent la défaite de la révolution. S’il pardonna plus tard aux Hongrois qui l’avaient fait trembler, il garda toujours rancune aux Croates et aux Roumains de Transylvanie qui l’avaient secouru dans sa détresse, au Tsar et à l’armée russe qui l’avaient sauvé en abattant la révolution magyare. « Sire, avait dit Paskiévitch, la Hongrie est aux pieds de Votre Majesté. » Prêter assistance aux rois, c’est les humilier, et ils ne le pardonnent guère ; mais l’ingratitude autrichienne a dépassé toutes les bornes, jusqu’à « étonner le monde. »

De ces souvenirs de jeunesse, François-Joseph a gardé l’horreur de toute revendication démocratique ou nationale ; il s’est habitué à recourir, pour s’en délivrer, à la force armée. Ce sont là des traits qu’il est bon de noter ; ils corroborent ceux que nous avons vus dominant dans l’atmosphère héréditaire et familiale de François-Joseph ; ils achèvent de caractériser sa physionomie intellectuelle et morale faite de peu d’idées très simples.


II

François-Joseph, à l’intérieur de son empire, a toutes les réalités du pouvoir, mais il gouverne le moins possible par lui-même. Un Napoléon est obligé d’innover, de donner constamment de sa personne, au risque de compromettre la source même de son autorité ; un Napoléon ne peut être qu’un homme du génie. Au contraire, un François-Joseph n’intervient que lorsqu’il estime en danger le principe ou l’assiette de son pouvoir ; il peut être un médiocre sans que ses sujets s’en aperçoivent, si ce n’est après une longue expérience. François-Joseph a trouvé en plein fonctionnement le système de gouvernement organisé par Marie-Thérèse, renouvelé par Joseph II,