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étouffa à vingt et ans le fils de Napoléon Ier, princes et princesses s’ingénient à découvrir des issues : Maximilien va poursuivre au Mexique un trône illusoire et trouve le peloton d’exécution ; l’archiduc Jean de Toscane abandonne ses grades et dignités pour devenir capitaine au long cours, sous le nom de Jean Orth, et s’en aller périr dans un naufrage sur les côtes de la Patagonie ; Rodolphe se plonge dans la débauche et s’y noie ; François-Ferdinand épouse la dame d’honneur de l’archiduchesse Frédéric dont l’Empereur l’avait envoyé demander la fille en mariage ; d’autres finissent dans les liqueurs ; un frère de l’Empereur est exilé, pour ses vices, dans une bourgade du Tyrol ; deux jeunes archiduchesses, petites-filles de l’Empereur, font, en ces dernières années, des mariages d’amour avec de beaux lieutenans qui ne sont pas de sang royal. Chacun s’échappe comme il peut, sauf ceux à qui les cabales et les intrigues byzantines rendent supportables la captivité dorée de la Cour et la servitude de l’étiquette. L’Impératrice s’enfuit, affolée, et va courir le monde ; l’Empereur se réfugie sur les cimes alpestres ou dans le boudoir bourgeois de Catherine Schratt.

Tel est le milieu d’idées et de mœurs où s’est formée et par où s’expliquent la mentalité d’un François-Joseph et par suite sa politique. Ces manières d’être, de vivre et de penser, qu’il avait trouvées dans l’atmosphère même de sa jeunesse, se sont ancrées dans sa mémoire et dans son intelligence par le milieu et les circonstances historiques où se développa sa jeunesse vouée au trône. Il fut enfant et adolescent de 1830 à 1848. C’était le temps où Metternich vieillissant appesantissait sur les peuples d’Autriche, au nom du droit des Couronnes, sa tyrannie policière et mesquine. L’essai révolutionnaire de 1830 avait été partout réprimé, sauf en France ; aussi Louis-Philippe passait-il, en Autriche, pour traître à la cause solidaire des rois. Les monarques et leurs ministres avaient seuls la direction absolue et sans contrôle de la vie et de la politique des nations ; ils s’entendaient, dans les Congrès de la Sainte-Alliance, pour bâillonner toute manifestation écrite ou parlée d’une pensée libre. Aucun droit n’était reconnu aux peuples, sauf celui de payer et de se taire ; les souverains avaient le droit de les dépecer, de les partager selon leurs propres convenances ou leurs conventions. C’est la Kabinetspolitik. Les rois et