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VI

Ceux qui fondent uniquement l’histoire sur le témoignage matériel des papiers publics ou privés rendraient mal l’impression produite par la fin tragique de Louis XVI. Peu ou point d’écrits, au moins en France ; nul éclat extérieur, mais partout un silence terrifié plus impressionnant, plus réprobateur qu’aucun tumulte de voix. Chose étrange ! ce silence durera, même lorsque le changement des choses aura rendu toute liberté aux effusions ou aux regrets. J’ai entendu dans mon enfance des vieillards parler de la Révolution : volontiers ils en racontaient les épisodes. Quand ils arrivaient à la mort du Roi, ils s’arrêtaient, comme si les paroles enchaînées jadis sur leurs lèvres s’y fussent immobilisées pour jamais. On aurait dit qu’ils eussent horreur même de se remémorer. Seulement, par intervalles, d’un geste bref, ils montraient des maisons, souvent d’aspect abandonné, où d’autres vieillards s’étaient éteints, solitaires, farouches, silencieux eux aussi. Là avaient habité ceux qu’on appelait les régicides, et telle était la flétrissure qu’elle ne s’effaçait que par degrés sur le front de leurs descendans. Ceux qui, tout en se taisant, se souvenaient avec une mémoire si implacablement fidèle, appréciaient à sa juste proportion le terrible événement. Dans l’histoire révolutionnaire, le procès du Roi marque une date décisive, non seulement par la grandeur de l’immolation, mais parce qu’il classa, pour ainsi dire, en deux partis les Français de ce temps et même des temps qui suivraient. Il y eut ceux qui avaient participé à la sentence et ceux qui avaient reculé devant l’arrêt de mort. Les uns se trouvèrent tellement enfoncés dans la Révolution qu’il ne leur resta le plus souvent qu’à s’y enfoncer davantage. Les autres, quels que fussent leurs actes passés, reprendront peu à peu contact avec les modérés, et peut-être inconsciemment, peut-être même en se retenant sur la pente, finiront par faire cause commune avec eux.

On vit dans la société religieuse quelque chose de pareil. C’est en ce temps-là que le clergé constitutionnel se scinda, lui aussi, en deux partis, les uns achevant de s’enlizer dans la Révolution, les autres retenant ce qui restait de leur sacerdoce et refusant de livrer leur conscience.