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peut être né que d’un mariage dans lequel les deux époux ont entre eux égalité de naissance Ebenbürtigkeit ; petit est le nombre des familles qui peuvent donner une impératrice à l’Autriche et une mère à un empereur. On n’a pas oublié dans quelles conditions l’archiduc François-Ferdinand, assassiné à Sarajevo, avait épousé la comtesse Chotek ; s’il était devenu empereur, sa femme légitime n’aurait pas reçu le titre d’Impératrice, et ses enfans n’auraient pas été héritiers du trône. C’est seulement à cette condition, formellement stipulée dans un acte écrit, que François-Joseph avait donné son consentement à une union que le statut de la famille jugeait indigne d’un Habsbourg. Le chef de la Maison ne pardonna jamais à son neveu cette mésalliance. L’héritier de la couronne ne put obtenir pour sa femme le rang d’archiduchesse ; le scandale des funérailles des deux époux, unis dans la mort par le même attentat, mais séparés par le protocole, fit éclater tout ce qu’a de vétusté, et tout ce que peut avoir d’odieusement antichrétien, la sacro-sainte loi de la Maison de Habsbourg. L’attentat de Sarajevo accueilli de toute la Cour avec une joie sans grimaces, et de l’Empereur sans chagrin, apparut comme une amende honorable au statut familial des Habsbourg et comme une solution aux difficultés inextricables que recelait pour l’avenir une situation paradoxale. Le revolver de Prinzip fit tout rentrer dans l’ordre dynastique et familial et fournit au vieil empereur et à son complice l’occasion cherchée d’une de ces belles guerres dans lesquelles les dynasties de proie ont coutume de chercher l’accroissement de leurs domaines. Qu’importe si les peuples pâtissent, pourvu que la Maison grandisse !

L’étiquette est la règle intérieure de la Maison souveraine. La rigidité oppressive, la minutie vexatoire de l’étiquette de la Cour des Habsbourg-Lorraine, héritée des Habsbourg d’Espagne, est légendaire. Elle est l’armature étroite et inflexible qui maintient les hommes et les choses dans un même ordre archaïque et désuet, chasse la lumière et l’air, arrête au seuil du Palais impérial tous ceux qui ne possèdent pas, par droit de naissance, la Hoffähigkeit, la capacité de figurera la Cour. C’est l’étiquette qui crée autour de l’Empereur et des princes une muraille qui les isole dans une atmosphère artificielle où s’étiolent les intelligences et se faussent les caractères. Pour échapper au solennel ennui de la Cour, à ce vide mortel qui