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pour la troisième fois, et Ravel, atteint de quatre balles, étaient hors de combat et devaient quitter la brigade[1]. Nos ambulances regorgeaient : en moins de deux heures, nous avions perdu « presque entièrement deux compagnies[2]. » Seule, la compagnie Ravel s’en tirait avec quatre tués et douze blessés.

Dès huit heures du matin, l’attaque était enrayée, l’échec complet. Mais ce ne fut qu’à la nuit que la compagnie Ravel, terrée tout le jour dans son fossé, put regagner nos lignes. La 9e compagnie, à son poste de soutien, était elle-même copieusement arrosée d’obus et de balles. Ses pertes restaient faibles cependant : 2 tués et 4 blessés. Mais les hommes exténués, grelottant de froid, n’en pouvaient plus. Il pleuvait. Stoïques, pour se réchauffer, le lieutenant de vaisseau Béra et l’enseigne Poisson avaient engagé un débat philosophique ; mais la chaleur de la discussion, de leur aveu, constituait un calorique insuffisant : Zenon n’avait pas prévu les tranchées de Steenstraete.

Dès qu’il le put, l’amiral fit rentrer tous ses hommes. Les bataillons de Kerros et Bertrand regagnèrent leurs cantonnemens. Une tristesse pesait au souvenir de tant de camarades dont le sacrifice, sans doute glorieux, n’avait servi qu’à révéler la formidable organisation des tranchées allemandes. Résumant l’impression générale sur ces tranchées, le docteur Taburet écrivait : « Ce sont de véritables places fortes, contre les pare-balles d’acier desquelles l’artillerie ne peut rien ou à peu près. » Et le pessimisme héroïque de l’enseigne Boissat-Mazerat se confirmait : « J’ai l’impression que la guerre, telle qu’on la fait présentement, peut durer indéfiniment. Le premier qui s’ennuiera, abandonnera. » Quant à la brigade, ce dernier coup semble l’avoir achevée : « Elle va périr d’inanition. Son effectif est déjà réduit de moitié et, ces temps-ci, nous perdons de 2 à 300 hommes tous les trois jours. Les malheureux sont d’ailleurs exténués. Dans un mois, la brigade aura vécu, après avoir dévoré le total au moins de son effectif en hommes et

  1. « Lartigue, un des deux derniers officiers de mon bataillon, a été blessé hier, — bras cassé. » (Boissat-Mazerat, lettre du 23 septembre.) — « Ravel m’arrive à huit heures, le soir. Blessure au ventre ; rien de grave, quoique ce soit une belle plaie de sortie. Balles dans la main droite… Il a passé la journée à plat ventre dans la boue avec sa compagnie. Toujours gai, il est très content. » (Carnet du docteur T… à la date du 22 décembre.) — « L’officier des équipages Raoul est tombé grièvement blessé. On le voit de nos tranchées. Mais pourra-t-on le ramener ? » (Carnet du commandant B…)
  2. Boissat-Mazerat, lettre du 23 septembre 1914.