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« 450 territoriaux » étaient ainsi « descendus dans une tranchée qui paraissait abandonnée ; » 32 seulement étaient revenus, et les bruits les plus étranges couraient sur tout le front ; les uns disaient que des mitrailleuses, dissimulées au bout de la tranchée, s’étaient soudain démasquées ; d’autres parlaient d’une invention diabolique des Boches, une « pâte asphyxiante, » à l’absorption de laquelle auraient succombé les assaillans. Cette pâte, ajoutait-on, « ne produisait que des blessures superficielles, mais très douloureuses, fermeture des yeux pendant deux heures, puis conjonctivite, » et il est à remarquer que ce sont précisément les effets produits par les gaz asphyxians dont l’ennemi devait se servir pour la première fois, officiellement, sous forme de larges émissions, à Langemark, le 23 avril suivant, et dont il semble bien qu’il faisait déjà l’essai restreint, dès le 13 décembre, dans les tranchées de ce même secteur. L’hypothèse de mitrailleuses, parachevant l’œuvre de la « pâte, » n’avait rien d’inconciliable avec l’emploi de celle-ci. De toute manière, des précautions s’imposaient, d’autant plus urgentes que l’attaque générale était proche.

Un reste de nuit traînait sur les champs et favorisait la mission des trois hommes. Ils partent à la file indienne : ramper leur répugne et tout au plus acceptent-ils de se baisser un peu, tant ils sont persuadés que les tranchées allemandes de première ligne n’ont pas de garnison. « Sans trop se faufiler, raconte leur chef, le lieutenant de vaisseau Feillet, ils font un tour vers quelques maisons ruinées, ne voient rien de suspect et arrivent sur les tranchées à examiner sans qu’on les ait inquiétés. » Leur confiance redouble en « voyant la toile tendue » sur la première tranchée ; ils pensent qu’elle « recouvre des cadavres, » et Le Moalic se penche, quand la toile s’écarte brusquement : « Wer da ? » La tranchée est « pleine de Boches, » qui dormaient et qui ne sont pas encore bien revenus de leur surprise. Le Moalic décharge son fusil dans le tas et décampe, avec ses deux camarades. Mais le jour s’était levé, la distance à parcourir était assez grande et les Boches avaient ouvert le feu : Le Moalic tombe, puis Le Neveu. Plus agile, Le Golf avait pu sauter à temps dans notre tranchée. Le Neveu, une heure plus tard, l’y rejoignait : blessé seulement à l’épaule, il s’était couché dans les betteraves et, en rampant, avait fini par atteindre ses lignes. Mais Le Moalic restait entre les deux tranchées et