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aristocratie. Plus personnelle, plus fermée encore, la brigade, aux raisons de même ordre tirées de son régime spécial et d’un système de recrutement qui remonte à Colbert, ajoute le prestige de son origine : elle vient de la mer ; elle sert à terre par accident, comme ces sirènes des vieux contes capturées par des pêcheurs et qui gardaient dans leur vie terrestre un ressouvenir de leur existence marine. Il n’est pas certain qu’au début elle n’ait pas cru un peu déchoir dans son coude à coude avec les fantassins. Mais ses préventions se sont vite dissipées au contact de ces belles troupes. Et, de son particularisme primitif, elle n’a gardé que le sentiment d’une sorte de supériorité naturelle inhérente à la condition de l’homme de mer, qui, en l’établissant au-dessus des « terriens, » l’oblige à ne leur céder en aucune circonstance, fût-ce dans un domaine et avec des moyens d’action qui ne sont pas les siens.


II. — DANS LE CLOAQUE

Pour le moment d’ailleurs, au moins dans la partie que les fusiliers ont à défendre, le front somnole. À notre aile gauche seulement, l’artillerie s’est réveillée ; une fusillade nourrie claque dans l’ombre, mêlée de clameurs et de râles, et des éclats de la tornade viennent jusqu’à nous : c’est le détachement des « Joyeux » qui, la Maison du Passeur enlevée, pousse son attaque sur les tranchées voisines. Rude opération, menée avec un entrain endiablé par ces hommes qui avaient tant à racheter, dont l’uniforme noir semblait porter le deuil de leur honneur et qui le teignirent ce jour-là dans la pourpre du sang bavarois.

Au matin, quand la brume se dissipa, le pâle soleil de l’hiver éclaira près de nous des rangées de cadavres ennemis ; les Allemands ne tenaient plus que dans quelques boyaux où ils opposaient d’ailleurs une énergique résistance. La lutte devait continuer toute la journée et s’étendre rapidement jusqu’au confluent du canal et de l’Yser par l’entrée en scène de la 38e division d’infanterie, désireuse de mettre à profit ce succès local pour achever le nettoyage de la rive gauche. La brigade ne participait point à l’opération, qui n’embrassait que la partie du front comprise entre le fort de Knocke et l’extrémité du secteur commandé par le capitaine de frégate Geynet. Avec sa