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pour le « front ? » Et puis jamais « Tatia » ne pourrait se figurer ce qu’ont été ses paroles d’adieu, la veille de ce départ pour l’armée d’Hindenburg ! « Mon petit trésor, — a dit le lieutenant, — nous avons été si tendres amis que, sans doute, tu ne m’oublieras pas tout à fait avant un mois ou deux. Eh bien ! chaque fois que tu penseras à moi, fais-moi l’extrême plaisir de m’envoyer une petite boite de poudre insecticide ! Car, dans le pays où je vais aller, les hommes ne comptent pas, comme ennemis à combattre ; mais chacun d’eux porte avec soi un régiment de poux, et je veux que tu m’aides à en être vainqueur ! »

Encore ne sommes-nous pas au bout de nos découvertes touchant les aventures, sentimentales ou « galantes, » de la jeune Loni. L’imprudente enfant ne s’avise-t-elle pas d’apprécier d’un ton d’indifférence quelque peu méprisante le jeu d’un illustre pianiste berlinois, Willi Torwald, qui est venu, lui aussi, depuis le commencement de la guerre, se « réfugier » auprès de ses parens, dans sa ville natale ? Sur-le-champ, la subtile « Tatia » devine un nouveau secret dans le cœur de sa nièce. « Quand une jeune fille s’exprime avec cet air de mépris sur le compte d’un artiste universellement renommé, — lui dit-elle, — cela prouve sans faute qu’elle a essayé de lui faire la cour, et n’en a pas été bien reçue ! » Et Loni, effrayée du profond génie « divinatoire » de sa tante, se résigne à lui avouer qu’en effet elle n’a rien négligé pour attirer sur soi l’attention bienveillante du pianiste « mondial. » Ah ! combien ses baisers, à celui-là, lui auraient été plus doux encore que ceux du ténor wagnérien à deux cent cinquante marks par mois ! Mais le glorieux artiste n’a pas même daigné s’apercevoir de son existence ! De telle façon que Mme von Duffel, après avoir arraché à sa nièce l’humiliant aveu de sa mésaventure, n’éprouve pas trop de scrupule à lui demander la permission d’entreprendre, à son tour, la conquête du cœur de Willi Torwald :

— Dis un peu, Loni, est-ce que cela te ferait beaucoup de peine, avec ces souvenirs du passé que tu viens de me raconter, si à l’avenir c’était moi qui, au lieu de toi, faisais quelques avances à l’éminent artiste ? Rien que par manière de passe-temps, naturellement, et sans la moindre arrière-pensée sérieuse ! Non pas cependant que je songe à cacher mon intention de me remarier tôt ou tard, dès que j’aurai trouvé une occasion acceptable. Mais quant à épouser M. Willi Torwald, voilà bien certainement ce que je ne ferai jamais : car de quoi me servirait d’avoir un mari qui aurait à voyager pendant tous les hivers, pour aller se faire, entendre aux quatre coins du monde ? Tandis que,