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quel camp brillait, à travers l’ouragan de fer et de feu, la pure étoile de la justice, n’ont pas attendu d’avoir les yeux dessillés et se sont, dès la première minute, orientés vers sa lumière, sans une hésitation, sans un atermoiement. Ceux-là n’ont pas été quatre-vingt-dix-neuf : ils ont été légion. Et les plus humbles n’étaient pas les moins ardens. J’ai souvenance d’une misérable feuille de chou, comme nous dirions, achetée sur un quai de gare perdue, à Albuquerque, en plein désert d’Arizona, où le portrait du général Joffre remplissait un tiers de page, encadré dans un article dithyrambique dont le rédacteur anonyme s’écriait, en finissant : « Tu vaincras, brave France ! Inconquérable France, tu vaincras ! » Peu de belles tirades francophiles, émanées de plumes célèbres, m’ont plus touché que cette fervente prophétie d’un inconnu, cueillie au passage, sur les routes du Far West, dans la morne contrée des sables, refuge des Indiens et royaume des cowboys.

Il ne saurait, naturellement, être question de dresser ici, ne fût-ce qu’un catalogue des journaux qui, dans la vaste étendue des Etats-Unis, ont, malgré la pression formidable exercée sur eux par les agens de l’Allemagne, pris nettement position pour la France et ses alliés. Ils sont trop. C’est tout un livre qu’il faudrait leur consacrer, si l’on voulait seulement esquisser en ses traits spécifiques l’attitude des plus marquans d’entre eux. Bornons-nous à souhaiter que, d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, quelqu’un le compose, ce livre dont la matière est, à proprement parler, rédigée d’avance, puisque la façon la plus directe et la plus concluante de montrer en quels termes se sont exprimés sur notre compte les interprètes autorisés de l’opinion d’outre-mer serait encore, j’imagine, de leur emprunter textuellement leur langage. Les morceaux typiques s’offriraient en foule : on n’aurait que l’embarras du choix. A les donner selon l’ordre chronologique, on dessinerait la courbe ascendante, en quelque sorte, de ce que je ne craindrai pas d’appeler l’assomption de la France dans l’esprit des publicistes américains. Tout d’abord, au moment de la déclaration de guerre, c’est comme un hochement de tête attristé. Nous sommes la France du lendemain du procès Caillaux, une Franco divisée contre elle-même et, par conséquent, vouée à périr, une pauvre petite France Chaperon rouge inéluctablement promise aux énormes crocs du loup hercynien. Déjà, on la