des tissus de calomnies. Or, ils devaient être des milliers, des centaines de mille d’Américains à s’en intoxiquer à jet continu, car, l’auteur faisant partie de l’Association des journaux, ses articles étaient nécessairement reproduits dans toute l’Union, même par les feuilles qui se piquaient d’observer la neutralité la plus sévère, comme c’était le cas pour le Times Star où je les parcourais en grinçant des dents. On concevra sans peine que je ne fusse pas précisément d’humeur à me plonger plus avant dans une lecture aussi enrageante, qui eût fini par me dégoûter à tout jamais, non seulement de la presse américaine, mais de son public. Et l’on me croira pareillement si je dis que le dernier écrivain des quarante-huit États avec lequel j’eusse osé prévoir que je lierais, un jour, connaissance amicale était Herbert Corey.
La chose advint, cependant, et voici comme. Lors de mon second départ pour l’Amérique, je tombai, à bord du Niagara, au milieu d’une société de jeunes reporters, rentrant chez eux, qui, du front français, qui, du front anglais. Dès le premier soir, ils demandèrent à me présenter, le lendemain, un de leurs aînés dont ils vantaient fort le talent. « Qui cela ? — M. Corey. — M. Corey ? Serait-ce d’aventure le Herbert Corey des Journaux associés ? — Lui-même. — Merci. Je n’ai pas le moindre désir de le rencontrer. » Et je leur en donnai mes raisons en quatre mots, non sans m’étonner que le panégyriste forcené de l’Allemagne eût cherché l’hospitalité sur un bateau français. Ils n’insistèrent pas. La traversée touchait à son terme quand, l’avant-veille de l’atterrissage, le peintre Rosseau, avec qui j’avais noué les plus agréables relations de mer, me prit à part : « Ecoutez, j’ai décidément peur que vos préventions à l’égard de Corey ne soient injustes. Il est extrêmement anxieux d’avoir une explication avec vous. Laissez-moi vous l’amener et accordez-lui quelques minutes d’entretien. » L’instant d’après, nous nous saluions, M. Corey et moi, sans nous tendre la main, et nous nous asseyions l’un en face de l’autre dans le fumoir. Je vais transcrire aussi fidèlement qu’il me sera possible ce qu’il me raconta.
— Lorsque je quittai l’Amérique, à l’ouverture des hostilités, mon intention, comme je ne possédais d’autre langue que l’anglais ou, si vous voulez, l’américain, était de suivre les opérations anglaises. Mais, à Londres, on me refusa net l’autorisation que je sollicitais. Assez vexé, je l’avoue, et ne me