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Je le trouvai de retour à Wilmington en décembre 1915 : il avait épuisé sa réserve personnelle et s’occupait, avec l’aide de Mme Speakman, de rassembler parmi les bourgeois de sa ville les fonds nécessaires pour une nouvelle campagne. Seulement, dans l’intervalle, son appétit avait grossi. Il lui fallait maintenant une ambulance automobile, et « la plus belle, la plus solide, la plus complètement équipée (je cite les termes d’un journal du lieu) qui fût jamais sortie d’un chantier américain. » Le mieux, c’est que, trois mois plus tard, il l’avait obtenue : elle roule, en ce moment, quelque part en France, portant cette inscription que le docteur Speakman y a fait graver sur cuivre, afin que tout l’honneur en allât à ses concitoyens : « Don de Wilmington, Delaware. » Quant à lui, quant à ce petit homme grêle, payant si peu de mine, qui a dépensé, qui continue de dépenser au service de notre pays des trésors d’énergie impatiente et comme endiablée, que pensez-vous qu’il ait souhaité en récompense de son dévouement ? Une décoration ? Les palmes académiques, peut-être ? Pas même. Simplement la faveur d’être reçu par le Président de la République et d’être admis à lui présenter, non une requête, mais une branche de chêne, cueillie à son intention, dans la vallée de la Brandywine, au vieil arbre encore vivace sous lequel La Fayette se reposa, dit-on, le soir d’un combat ! N’est-ce pas que l’histoire est de celles qui demandent qu’on les divulgue ?

Entre les membres de la Faculté américaine les plus délibérément, les plus intrépidement acquis à notre cause, il en était du moins un qu’en raison de son âge et de sa situation je n’avais pas à craindre de manquer à son domicile : je veux parler du docteur Reed, de Cincinnati. Si l’Alliance française de cette ville hyperteutonisée est, malgré l’hostilité de l’ambiance, une des plus prospères, sinon la plus prospère des États-Unis, elle le doit tout d’abord, incontestablement, à la vigilance jamais assoupie de la femme de tête et de cœur qui, Suissesse de naissance, Américaine d’adoption, mais Française, oh ! Française de toute son âme, a su allumer chez des centaines de prosélytes la foi, l’inextinguible foi dont elle est embrasée : et ceux de nos compatriotes qui sont quelque peu renseignés sur l’expansion de notre culture et de notre langue dans l’Amérique du Nord ont déjà deviné, avant que je la désigne plus clairement, que c’est de Mlle Emma Morhard qu’il