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L’aumônier de la 23e division a prêché, un grand bel homme qui fut, dit-on, officier de cuirassiers, et qui a, lui aussi, accommodé son costume a sa fonction. Il a parlé de Jeanne d’Arc avec simplicité, avec élan, avec foi, et en fort bons termes, sans trop hausser le ton et sans cris. Ceci encore fut excellent ; et quand les hommes se sont dispersés lentement au sortir de l’église, on sentait chez tous plus de confiance, de la joie, et un courage rajeuni.

— Que dis-tu de l’horrible torpillage de la Lusitania ? C’est le cynisme dans la goujaterie. J’espère que cet odieux crime va achever d’ouvrir les yeux aux quelques neutres qui hésiteraient encore.-


A sa femme.

En campagne, ce 19 juin 1915.

Je trouve ta lettre en rentrant de notre visite des tranchées de Flirey. Nous sommes partis ce matin en auto à deux heures, et nous étions pour trois heures et demie au pied des tranchées qui font face à la lisière de Mort-Mare. C’est un des secteurs les plus actifs de toute la région, un de ceux où le bombardement est presque continuel ; et c’est précisément pour cela que nous en faisions la visite à l’aube, parce que c’est le moment où, des deux côtés, par un accord tacite, chacun, fatigué d’une rude nuit, laisse là fusils, mortiers et grenades, et s’en va se coucher. Et, de fait, ce fut bien calme pendant tout le temps que nous y avons passé ; mais les brancards qui descendaient au moment où nous arrivions témoignaient de l’activité de la nuit. Je revois surtout dans un boyau, porté par deux hommes dans une toile de tente, comme un pauvre gibier meurtri, une espèce de loque humaine qu’un obus avait pulvérisée. Mais qu’est-ce qu’un mort dans cet immense cimetière ? La tranchée de première ligne qui a été conquise sur les Boches et qui a vu des luttes acharnées, des corps à corps plusieurs fois recommencés, n’est qu’un ancien charnier, où les murailles, les parapets, les créneaux sont taillés dans la pâte humaine. On voit encore çà et là un pied lamentable qui fait saillie, un des qui s’arrondit en bosse dans un pan de contrefort. Peu à peu on dissimule toute cette misère par des revêtemens de sacs à terre, mais ce n’est qu’un écran insuffisant : l’affreuse odeur