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la porte ; mes doigts sont gourds, et il faut faire un petit effort pour achever ce griffonnage. J’écris un peu en somnambule, sans trop savoir si je te dis les choses qui pourraient t’intéresser et répondre à vos questions. Cela se fera petit à petit.


A sa femme.

Ce 17 décembre 1914.

As-tu lu le beau discours de Bergson à l’Académie des Sciences morales ?… Il faut lire aussi l’admirable article de Barrès dans l’Écho d’hier. C’est du noble et grand Barrès : c’est, exprimé en phrases magnifiques et pourtant simples, le sentiment obscur qui travaille tant d’humbles âmes de soldats sans qu’ils puissent toujours l’élucider. Ce sont de ces pages qui devraient refaire une France une, je ne dis pas une France catholique, mais une France respectueuse de la foi et désireuse de la retrouver. Du reste, tous ces articles quotidiens de Barrès sont très beaux : il n’y en a pas un de médiocre : ils sont très artistes, mais l’art y, est atteint sans le vouloir, sinon sans le savoir. A travers le petit fait quotidien, il sait discerner la pensée qui s’y exprime ; et dans les gestes de nos soldats, gestes traditionnels ou instinctifs, il aperçoit tout ce qu’il y a en eux de signification éternelle. Ce n’est pas la flamme ardente, et joyeuse et claire de ton cher de Mun ; mais c’est une belle flamme, profonde, et sombre et héroïque aussi. Sans être soldat, à l’heure présente, Barrès « sert » bien le pays.


A sa femme.

Ce 19 février 1915.

Matinée radieuse aujourd’hui ! Le ciel est si bleu, le soleil si clair, que je puis t’écrire sans chandelle. Assis sur le gros rondin qui limite notre dortoir de gauche, je vois en face de moi la pente du ravin tout éclairée. Les dernières feuilles des buissons frissonnent légèrement sous la bise, et, encore humides de pluie, brillent çà et là comme de petites flèches ; un souffle frais et pourtant tiède arrive jusqu’à moi, un oiseau chante, mais il y a aussi un obus qui siffle. Quand retrouverons-nous le vrai printemps, le printemps pacifique ?…