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éclatante justification de ses tendances instinctives. Certes, on peut concevoir, et il existe en fait, de purs stoïciens que l’austère idée du devoir soutient tout entiers et suffit à maintenir dans un état d’âme héroïque. Mais combien peuvent s’élever à ces âpres sommets de la vertu stoïque ? Comme l’idée chrétienne du sacrifice, de la mort, de l’immortalité personnelle est tout ensemble plus humaine et plus intelligible ! Comme elle est efficace pour soutenir les courages, pour exalter la charité spirituelle, pour apaiser les révoltes de la sensibilité meurtrie, pour faire accepter le suprême don de soi-même ! C’est ce que Maurice Masson a profondément éprouvé au cours de ses vingt mois de guerre, et c’est ce que ses lettres expriment avec une rare éloquence. Il a médité, approfondi, vécu ses croyances. Au contact quotidien de la réalité tragique, il en a, pour les autres et pour lui-même, senti, mesuré le bienfait. Par elles il a été doux envers la mort des autres, comme il a été doux envers la sienne propre. Lui qui aimait tant la vie, et qui avait tant de raisons de l’aimer, il accepte, non pas du premier coup, non pas sans frémir, mais sans se plaindre, la destinée qu’il pressent inévitable. Et rien n’est plus émouvant, rien n’est plus dramatique que de suivre, de lettre en lettre, parmi les retours offensifs de la nature, parmi les appels ardens d’une sensibilité frémissante, le détachement progressif, la volontaire acceptation religieuse du suprême sacrifice. Par cette mort librement consentie, il a rendu à sa foi un symbolique et dernier témoignage.

Hélas ! nous avions formé d’autres rêves pour lui. Que n’était-on pas en droit d’attendre de son jeune et riche talent, de sa pensée élargie, épurée, mûrie par la douloureuse et forte expérience de cette guerre ! Lui qui savait quel « ferment de générosité » contient une mort telle que la sienne, il nous en voudrait de nous apitoyer sur son sort. Et il faut le laisser lui-même dégager la haute leçon de sa brève et féconde destinée :


Quant à lui, — écrivait-il magnifiquement d’un ami, — disons-nous qu’il aura connu la paix avant nous, qu’au sortir du tumulte sanglant où il est tombé, il s’est réveillé dans cette sérénité sans fin qui attend les défenseurs de la justice, et qu’oubliant les dernières horreurs que ses yeux ont vues, il ne garde plus dans sa joie immortelle que la vision de ceux qu’il a aimés…

VICTOR GIRAUD.