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feu la Dauphine, le château de Saint-Vrain, « près Arpajon sous Montlhéry, » avec un parc d’environ 160 arpens et une terre assez importante. Il achetait en même temps tout le mobilier du château, meubles, tapisseries et tableaux. Pour ces divers achats, il versait, au total, une somme de 275 000 livres[1]. La Pouplinière acquérait du même coup le marquisat de Saint-Vrain, dont il joindra désormais le titre à son nom. C’est à Saint-Vrain que, pendant douze années, Thérèse et lui passèrent les mois d’été et parfois aussi ceux d’automne, en compagnie de quelques familiers, dans une intimité restreinte, qui prochainement deviendra familiale[2], et dans un repos relatif, dont Thérèse appréciait le charme.

Cette belle simplicité ne s’étendait nullement à leur existence citadine. A Paris, on menait grand train. Les réceptions fastueuses, les soupers, les concerts se succédaient sans trêve. De plus en plus, dans cette maison, l’art musical régnait et reléguait au second plan le reste. Rameau, de longue date l’ami et le commensal du fermier général, s’adonnait à parfaire l’éducation musicale de Thérèse, s’émerveillait de ses dispositions, de ses progrès rapides. Il lui donnait des leçons de clavecin et lui enseignait l’harmonie. L’élève, de son côté, s’attachait à son maître avec une sorte de passion et le prônait avec ardeur, à l’exclusion de ses rivaux. Elle épousait toutes ses querelles, violentes et nombreuses, car le compositeur avait l’humeur étrangement difficile. « M. de La Pouplinière, dira Jean-Jacques Rousseau, était le mécène de Rameau, Mme de La Pouplinière était sa très humble écolière. Rameau faisait, comme on dit, la pluie et le beau temps dans cette maison[3]. »

Au reste, les largesses à l’égard des artistes, des musiciens, des gens de lettres, devenaient peu à peu, chez ce couple opulent, une habitude et une règle établie. Quand il ne s’agit pas de subsides financiers, ce sont des politesses, des recommandations, des bienfaits de tous genres. On peut juger de cette réputation d’après les noms et sobriquets que leurs amis, Voltaire en tête, décernent à La Pouplinière, Mecœmas, Pollion, Platiis-Pollion, le Pêriclès de la finance, etc., etc. Pendant un séjour à Circy, Voltaire mande à Thiériot : « Continuez à faire ma cour aux

  1. Cucuel, loc. cit.
  2. Lettres du chevalier d’Assay à Mme de La Pouplinière, passim.
  3. Confessions, 2e partie, année 1744.