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vécut tout d’abord à Marseille, puis un peu plus tard à Bordeaux, enfin dans quelques villes du Nord, Amiens, Soissons et Lille. Dans ces diverses résidences, il menait joyeuse vie, donnant des bals, courtisant les dames de province, et faisant « grosse figure, » comme l’écrit un contemporain. Quand, dans l’été de 1731, il vit sa pénitence levée, il ne jugea pas à propos de revenir à Paris en droite ligne. Il fit d’abord un assez long voyage en Flandre et en Hollande, un voyage qui dura trois mois et dont il a laissé, sous forme de journal, un récit vif, alerte, pittoresque, qui fait honneur à son esprit, à son goût de s’instruire et à ses instincts d’artiste. Vers la fin d’octobre seulement, il se réinstallait à Paris, dans le logement qu’il occupait avant son aventure, logement vaste et somptueux, situé rue Neuve-des-Petits-Champs et sur la paroisse Saint-Eustache, dans une maison dont l’emplacement ne peut être déterminé d’une manière plus précise.

C’est au moment de son retour que Le Riche de La Pouplinière inaugura pour de bon la « grande vie » qu’il mènera désormais jusqu’à son dernier jour. Il avait trente-huit ans. Sa fortune s’accroissait chaque jour. Il la dépensait fastueusement, pour ses plaisirs particuliers, parfois aussi pour ceux des autres, ayant gardé à cet égard les « bonnes traditions de la Régence » et aimant mieux se divertir que de « cuver son or, » comme l’en louait cyniquement Piron. C’est aussi vers cette heure qu’apparaissent dans son entourage deux hommes dont l’amitié allait lui apporter l’éclat de leur illustration : Rameau, auquel l’unira étroitement sa passion pour l’art musical ; Voltaire, qui le flattera, l’exploitera même à l’occasion et le haussera un jour, en récompense, au rang glorieux de collaborateur.

Deux autres personnages, ceux-là de second plan, surgissent en même temps dans sa vie. L’un est Nicolas-Claude Thiériot, satellite de Voltaire, son « compère, » comme disait ce dernier, quelque peu complaisant, quelque peu parasite, assez bon homme au demeurant, capable d’affection, de dévouement et de fidélité, pourvu qu’on l’entretienne et le nourrisse à ne rien faire. L’autre, plus pittoresque, est Ballot de Sovot, un petit avocat, d’extérieur assez ridicule et de manières assez vulgaires, bavard intarissable, curieux jusqu’à l’indiscrétion, louangeur hyperbolique et détracteur dangereux selon l’instant et l’occasion, galantin acharné, et lier d’afficher les faveurs de Mlle Salle,