Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus rapide, une clarté de jugement plus nette, une faculté d’analyse plus vive et précise à la fois. N’avons-nous pas, d’ailleurs, déjà rencontré chez sa mère ces rares et précieuses qualités ?

Avec l’intelligence, une de ses caractéristiques semble avoir été l’ambition. À toutes les étapes de sa vie et dans toutes les situations, elle désirera toujours s’élever, dominer, conquérir. C’est chez elle un instinct, une disposition de nature. « Vous savez, dira-t-elle, que tout ce qui s’oppose à mes volontés me tue… Je suis extrême en tout[1]. Si je faisais la guerre, je voudrais commander l’armée, ou demeurer dans ma chambre. » Et je ne voudrais pas omettre cette exclamation : « Je ne désire jamais rien faiblement, jusqu’à un verre d’orgeat ! » Mais cela tient aussi aux complexités singulières de son état social, du moins au temps de sa jeunesse. À moitié comédienne, à moitié femme du monde, ayant pied dans toutes les sociétés, toujours en marge et toujours à côté, avec cela foncièrement orgueilleuse, il est aisé d’imaginer qu’elle ait voulu sortir de cette position fausse, ambiguë et mal définie. De là ce qu’on lui reprochera d’ « habileté, » de « calcul, » de « manœuvres intéressées. » Mais, chez elle, cet effort constant ne comporte point de bassesse ; si elle louvoie parfois, elle ne se prosterne jamais.

Certains de ses contemporains l’ont accusée d’avoir plus de tête que de cœur. « Elle était d’une extrême froideur, » affirme Marmontel, qui s’y connaissait en glaçons. Pour nous, qui, mieux que les gens de son temps, par ses lettres intimes, avons pu pénétrer dans le fond caché de son âme, nous savons aujourd’hui ce que cette froideur apparente dissimulait de passion vraie et de flamme dévorante. Toute sa vie amoureuse le prouvera sans réplique et nous pouvons l’en croire quand elle écrit ces lignes éloquentes : « Je suis d’une sensibilité et d’une vivacité à me jeter par la fenêtre pour tout ce qui me contrarie. Mon imagination est toujours en mouvement. Ce sont des projets, des langueurs, des fureurs, je suis folle !… Mon père, qui est heureusement né gai et doux, me dit que je me tuerai. Il a raison… » Et elle termine par cette phrase pittoresque : « Cet animal (c’est son mari) disait l’autre jour : Votre frère est heureux ; il n’a que les ondulations de la sensibilité ; il n’en a pas les vagues. Ah ! c’est bien moi qui les ai, ces chiennes de

  1. Lettre au maréchal de Richelieu. Collection de l’auteur.