Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Avant de gagner le camp de Lembet, nous nous arrêtons à l’ambulance alpine que dirige le docteur P… Le soleil chauffe dur et il n’y a d’ombre que sous les tentes. Le docteur P… est un médecin de Constantine dont j’ai entendu dire le plus grand bien, une figure sympathique et un peu triste marquée par les fatigues et les soucis d’une pénible campagne. Il s’occupe beaucoup des réfugiés, ses voisins, et nous conduira chez eux, tout à l’heure. Auparavant, nous devons visiter l’ambulance, où les médecins et le personnel infirmier ont réalisé le type modèle du genre, sans aide, sans matériel étranger et par les seuls « moyens du bord. » Un étrange petit hameau, fait de toile, de terre battue, de planches et de roseaux, émerge à demi du sol, comme s’il n’avait pas fini de pousser, retenu par de profondes racines. On descend, par des échelles de cinq à six marches, dans les cellules monacales meublées d’une couchette, d’une table, d’une chaise, et que parent toujours quelques fleurs, dans une potiche imprévue, boîte de conserves, verre ébréché, douille d’obus bulgare. On y trouve aussi des livres, les inévitables cartes postales, des portraits de Sarrail et de Joffre, et souvent, piquée à la paroi comme une libellule, la séduisante.image d’une Parisienne.

« Les élémens principaux du mobilier, me dit le docteur P…, c’est la caisse de bois blanc et le bidon de pétrole. Et vous les retrouverez partout, adaptés aux usages les plus divers, dans tous les camps, dans les hôpitaux de campagne, dans les « guitounes » et les gourbis. Le bidon de pétrole vide est ici chose précieuse. Il est, selon le bon plaisir de nos gens, tour à tour table et cuvette. »

Il est bien vrai que nos soldats ont le génie du « débrouillage. » J’admire comment on a pu réunir, dans un espace minimum, sous la forme la plus légère et la plus mobile, tous les organes de l’ambulance, tout ce qui est nécessaire pour nourrir, laver, coucher, désinfecter, soigner le personnel et les malades.

« Venez voir mes hommes. Ils vous attendent. Ils seraient déçus si vous passiez par ici sans leur dire un mot. Une Française, pour eux, c’est toute la France lointaine qui revit, qui parle aux yeux et au cœur. »

J’ai suivi le docteur P… jusqu’au lieu où les hommes se