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qu’il a tracé. Malgré moi, tandis que je l’écoute, je sens ce que représente encore, pour des Français, le grand nom de ce petit pays : la Grèce.

Sommes-nous donc victimes d’une illusion quand nous persistons à croire que la Grèce, en dépit de la politique, ne peut pas ne pas nous aimer ? Parce que l’antique Hellade a nourri notre génie, parce que le souvenir de Salamine et de Marathon nous fascine, nous avons encore, pour la moderne Hellade, les yeux de Byron et de Lamartine. Nous croyons que le brûlot de Canaris flambe toujours à l’horizon de l’Egée et que l’écho des canons de Navarin se prolonge après un siècle !…

Je ne dirai pas, comme certains, que les hauts faits des anciens Grecs sont une merveilleuse tartarinade et une mystification de professeurs. Je ne m’en prends pas à Phidias et à Sophocle des désillusions que nous donne M. Gounaris. Mais je comprends qu’il faut secouer la hantise esthétique et littéraire et la cendre dorée des souvenirs. Roulons la Grèce défunte dans un linceul de pourpre, et, pour quelque temps, n’en parlons plus. Regardons l’autre, dans sa réalité, dans sa complexité inquiétante, sans nous laisser éblouir par les plus beaux des fantômes…


Mai 1916.

L’autre soir, dans le salon de mon hôtel, quelques officiers, mes voisins, qui depuis longtemps ont quitté la France, me faisaient raconter les aspects nouveaux de Paris et comment la guerre a modifié notre vie à tous. L’un d’eux me dit alors :

— Bah ! Paris est noir, Paris est triste… Mais vous avez de temps en temps un raid de zeppelins pour vous donner la sensation de la guerre. C’est un divertissement comme un autre.

Je confessai que je n’avais pas vu les zeppelins. J’étais en voyage lors du premier raid, et lors du dernier, le brouillard intense cachait tout le drame du ciel. J’avais entendu seulement l’explosion des bombes.

— Eh bien ! les Boches vous offriront une revanche, ici, quelque belle nuit. Nous avons quelquefois des visites de zeppelins et d’avions, à Salonique. La population ne peut pas se réfugier dans les caves, parce qu’il n’y a pas de caves ! Aussi, des