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confiance et leur foi… L’héroïsme français est une cuirasse d’un merveilleux métal, en vérité, sans défaut’ et sans fêlure, mais jamais si pesante qu’elle puisse étouffer la palpitation du cœur vivant.

Donnons une pensée aux absens ; donnons une pensée aux morts, et que ce soit notre prière du soir. Donnons une pensée, aussi, à tous ceux qui vinrent sur ce navire, blessés ou malades, et qui en tirent un lieu sacré.

L’ombre s’épaissit et, pourtant, une clarté autour de nous tremble et moire les eaux tranquilles. Le bateau, lumière unique dans la nuit, rayonne par tous les feux de ses mâts, de ses lampes intérieures, de la bande verte dessinant le pont. Et ces feux signalent son passage à l’invisible ennemi qui l’épargne, à regret peut-être…


Au-delà du cap Spartivento, nous avons trouvé l’été, comme si notre voyage s’accomplissait à la fois dans l’espace et dans le temps. Cerigo, nue et dorée, belle par la lumière qui la baigne, le dangereux cap Malée, raviné d’ombres mauves et portant un ermitage blanc à sa pointe extrême, et puis des îles, des îles, un troupeau d’iles, ont surgi du bleu plus obscur de la mer. C’est ici qu’il est presque impossible de ne pas oublier, par instans, le cauchemar qui pèse sur le monde.

L’antique enchantement de la lumière accomplit ce miracle qui n’appartient plus maintenant aux consolatrices d’autrefois : la poésie et la musique. Nous sommes déçus par les poètes. La musique touche en nous une sensibilité souffrante, éveille des souvenirs et des désirs qui font mal… Et peut-être, si nous y prenions plaisir, serait-ce avec une sorte de honte. Mais la joie qui vient de la lumière est toute pure, comme l’innocente joie que donnent l’eau et le pain.

D’ailleurs, si nous étions tentés d’oublier trop longtemps la guerre, tout, sur ce bâtiment, arche de grâce pour la douleur, nous ramènerait à elle. Il suffirait d’apercevoir, par les vitres des anciens salons, les petits lits aux couvertures grises où tant de pauvres êtres ont trouvé le repos, — quelquefois l’éternel repos, — et sur la mer d’un bleu si foncé qu’elle mérite l’épithète homérique, sur la mer violette, ne voyons-nous pas les vaillans petits chalutiers qui battent les routes marines,