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invincible, forte de tant de territoires conquis et de quatre royaumes abattus, tendue pour un suprême et exécrable effort, résolue à de surhumaines et inhumaines horreurs. Laissons pour compte à M. de Bethmann-Hollweg la piété de son Empereur et sa compassion envers le genre humain, qui ne sont que dérision. Un bon prétexte, c’est peut-être aussi le nouveau règne en Autriche-Hongrie où la paix serait, aux mains de Charles Ier-Charles IV, un magnifique cadeau de joyeux avènement; où, de plus, elle lui permettrait, pourvu qu’il en soit temps encore, de desserrer l’étreinte et de s’évader de l’emprise allemande. Et voici les raisons, ou plutôt la grande raison, en laquelle elles se résument toutes. C’est la situation réelle, la vraie situation économique et politique de l’Empire allemand et des autres États de la Quadruple-Alliance. De cette situation, nous ne savons pas tout, mais il y a tout de même des choses que nous savons. Nous savons que la gêne s’est accrue jusqu’à atteindre la misère ; que, pour les plus riches, c’est devenu un problème de vivre ; et que les prix qu’on publie sont purement théoriques, puisque les denrées manquent et qu’on n’en peut trouver à n’importe quel prix. Seulement, pour avoir cru trop vite que l’Allemagne souffrait de la faim, quand ce n’était pas vrai, maintenant que c’est vrai, nous ne le croyons plus assez. Nous savons que l’opinion s’affaisse ou s’irrite, et que la mobilisation civile est ainsi, contre des révoltes éventuelles, une sorte d’état de siège renforcé, qui place tout le peuple allemand, hommes et femmes, sous le régime de la dictature intense. Militairement même, nous savons que, s’il est certain que l’Allemagne occupe de vastes territoires, et foule aux pieds quatre petits États, il ne l’est pas moins que les quatre grands États de la Quadruple-Entente sont debout, dans des conditions qui supportent la comparaison avec celles de l’Europe centrale. La politique de l’Allemagne et de l’Autriche en Pologne est le signe visible que la question des effectifs se pose instamment pour elles. Leur supériorité en matériel, artillerie et munitions, s’est atténuée, s’efface, tend à se renverser. Quant à la guerre sous-marine et à la guerre aérienne, dont l’Allemagne agite l’épouvantail, elle aura beau les exaspérer, l’une ne produira jamais plus que des effets étroitement localisés, et jamais l’autre ne rétablira entre la Quadruple-Alliance et la Quadruple-Entente, l’équilibre des privations, de l’usure et du dépérissement. Au total, nous savons que l’Allemagne n’est pas encore à bout de souffle, mais, l’oreille collée à sa poitrine dans le corps à corps où nous sommes engagés, nous entendons les premiers râles : ce n’est pas le moment de lâcher ni de