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et en apparente opposition à celles-là, par les pangermanistes et les agrariens ; les harangues personnelles de l’Empereur : les interviews et les ordres du jour, tantôt truculens et crevant les cieux, tantôt humanitaires et trempés de larmes, du kronprinz Frédéric-Guillaume, des rois de Saxe et de Wurtemberg, du roi et du prince héritier de Bavière, qui, plus importans que le commun de leurs confédérés, parlent plus volontiers et qu’on fît parler davantage. L’astuce et la patience allemandes, qui ont préparé la guerre pendant quarante-cinq ans, préparent la paix depuis trois ans bientôt, depuis le premier jour de la guerre. Pas un instant, de ses bureaux ou du grand quartier général, la Chancellerie ne s’est lassée d’épier l’occasion. Elle a cru la saisir après chaque victoire, et elle a alors, d’un bout de l’univers à l’autre bout, agité vigoureusement tout son système de grelots ; dans les périodes moins heureuses, elle a fait le muet ou le mort, jusqu’à ce que les affaires militaires se rétablissent ; et le ton, selon les cas, s’est haussé ou baissé, comme se sont haussées et baissées les prétentions ; mais il n’est pas arrivé que l’Allemagne n’émît pas ou n’eût pas de prétentions, que les plus modestes ne fussent pas encore excessives, et qu’elles n’aient pas oscillé simplement entre l’odieux et l’inacceptable. Montrons-le mieux, en insistant un peu sur les discours de M. de Bethmann-Hollweg, puisque aussi bien c’est lui qui représente dans l’Empire le personnage autorisé et responsable.

Au mois d’avril 1916, avant la triomphante offensive de Broussiloff, le chancelier ne se tourne vers l’Orient que pour s’écrier : « Après de pareils ébranlemens, l’histoire ne connaît plus le statu quo ante. Non, la Russie ne doit pas pouvoir encore une fois faire avancer ses armées contre la frontière non protégée de la Prusse orientale. » Et quand, à cette date, il se retourne vers nous, il nous le signifie en termes péremptoires : « Personne ne croira que nous abandonnerons, à l’Occident, le territoire arrosé du sang de notre peuple sans avoir pris des garanties réelles. Là non plus, le destin ne retourne plus en arrière. » De même, le 9 décembre 1915 : « Nous avons remporté d’énormes succès et enlevé à nos ennemis leurs espoirs, les uns après les autres. Après avoir volé de victoire en victoire, nous ne céderons rien de ce que nous avons conquis. » Et, déjà, le 18 août : « Non, cette immense guerre ne restaurera pas l’ancienne situation. Une Europe nouvelle doit surgir et la politique anglaise de l’équilibre des Puissances doit disparaître. » Passent le dernier printemps et le dernier été. L’offensive de Broussiloff couvre